Dis moi comment tu pétris et je te dirai qui tu es ! Par Christian Rémésy

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Dans les précédentes tribunes, j’ai essayé de vous sensibiliser à l’intérêt d’adopter une manière entièrement nouvelle de faire le pain, avec des farines naturelles sans aucun ajout, en supprimant quasiment le pétrissage, en limitant le sel à 12-15g par kilo de farine, en réduisant de 10 à 100 fois l’ensemencement de levain ou levure, en réalisant un pointage de 12-18 heures à température ambiante. Beaucoup d’entre vous sont restés sceptiques, n’ont guère prêté attention à ces préconisations qui semblent extravagantes en comparaison des procédés actuels de panification. Or elles ont maintenant été testées avec succès par de nombreux boulangers, adoptées par les Ambassadeurs du pain ; elles sont à l’origine de la démarche Respectus panis, elles font même l’objet d’un ouvrage à succès intitulé Révélation d’une panification, mise en vente à l’occasion du dernier Serbotel de Nantes.

La méthode de panification proposée semble trop simple, très facile et peu coûteuse à mettre en oeuvre. C’est trop beau pour être vrai, pire cela rend inutiles de nombreux équipements, simplifie la nature des farines, permet un cycle de travail confortable sur 24 heures, aboutit à des économies d’énergie et de divers intrants. Dernière remise en question et non des moindres, pourquoi et comment la boulangerie s’est elle fourvoyée dans ces pétrissages intenses, ces farines de force boulangère élevée, ces ajouts d’enzymes et de gluten, ces chambres froides, cet usage excessif de levure.

Le choc culturel, la mère de toutes les dérives a été la possibilité de produire, après la deuxième guerre mondiale, un pain blanc très aéré, symbole d’abondance et de pureté, sous l’effet d’un pétrissage intensif. Les conséquences ont été terribles sur la dévalorisation nutritionnelle du pain, sa perte de goût ,  la baisse de sa consommation, l’évolution de la nature des blés cultivés, des farines utilisées. Pour obtenir ce fameux pain aéré qui réagisse bien au pétrissage, il fallait des blés et des farines dotées de gluten de meilleure capacité viscoélastique que  les blés anciens. C’est ainsi qu’en moins de 50 ans, la force boulangère, le W des farines passa de moins de 100 à plus de 200 en moyenne. Grâce à l’énergie déployée au pétrissage mécanique, le gluten forme un réseau viscoélastique artificiel, il ne protége plus le grain d’amidon ; à la cuisson ce grain éclate trop facilement, se rigidifie ensuite très rapidement, ce qui provoque le rassissement du pain. A la différence de l’amidon qui devient trop vite assimilable dans le pain, les protéines du gluten qui se sont assemblées en réseau très résistant deviennent moins digestes, ce qui est sans doute à l’origine de la phobie du gluten de nos contemporains.

Cette course aux teneurs élevées en gluten dans les blés modernes très productifs a eu des conséquences agronomiques et écologiques considérables. Produire 80 quintaux de blé à l’hectare avec une teneur de plus de 12% de protéines nécessite des apports azotés extraordinaires, avec pour conséquence un lessivage de nitrates. Les apports d’azote intensif fragilisent la plante et rendent la culture du blé davantage tributaire des pesticides. Quels dégâts écologiques et nutritionnels provoqués par ce « péché originel » du sur- pétrissage, une erreur aux conséquences vertigineuses.

Que propose la démarche Respectus panis, qu’elle est la découverte : le réseau de gluten peut se former tout seul, avec un  déploiement d’énergie mécanique très faible,  pourvu que la température et la durée de pointage soient suffisamment élevées. En pratique le frasage est réalisé à température élevée pour avoir une température de  pâte proche de 27-28 degrés ; on ménage ensuite  un temps de latence d’environ 30 minutes et on pétrit seulement 2 minutes à vitesse lente. Résultat, les liaisons disulfures du réseau de gluten se font toutes seules,  et le gluten continuant à protéger le grain d’amidon, le pain se conserve très bien. Autre bénéfice, il devient inutile d’avoir des farines  de force boulangère  élevée et la culture du blé peut devenir plus écologique. Grâce au faible ensemencement et au long pointage à température ambiante, le travail enzymatique de la pâte est plus abouti, celui des enzymes de la farine précède et prépare les activités fermentaires et la baisse finale du pH induit par les bactéries lactiques active toutes les enzymes hydrolytiques, rendant le pain plus digeste. Tout ceci aboutit à un bénéfice nutritionnel et écologique considérables. A vous de mettre en œuvre cette panification nouvelle et de faire profiter la Société de cette révélation  surprenante.

Essayez donc de faire des baguettes selon cette méthode avec ce type de pétrissage.
Pour 5 kg de farine T65, ajouter 3,4 litres d’eau, 60 g de sel et 3 g de levure. 18 de pointage à 18 degrés et 2 h d’apprêt.