Horizons… rendez vous à Palerme avec le chef Mario Puccio, la suite : Le pain, une affaire sérieuse pour les Siciliens.

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Portrait de Mario Puccio
Mario Puccio

Depuis sa production jusqu’à la manière de le couper à table, de valoriser ses moindres miettes en cuisine pour saupoudrer des plats de poisson, de viande ou de légumes, le pain est amour pour les Siciliens. Il est vital, mythique, il est partie intrinsèque de leur caractère par une  histoire qui remonte à la nuit des temps.

Par Marie Anne Page

Fertile Sicile, chérie des Grecs dont elle était le « grenier ». Avec eux, son peuple avait appris l’art du pain, devenant précurseur dans la consommation du blé en monde occidental (où la culture de céréales telles le seigle et l’orge, a longtemps dominé).

Une histoire qui a amené au fil des siècles, la création d’une infinie variété de goûts et de formes de pains: traditionnels, festifs, pains liés à des fêtes religieuses… où s’ajoute la diversité des blés et leurs terroirs de production.

Il y a aussi le savoir faire originel sicilien dans la fabrication et la commercialisation des pâtes sèches mais, c’est une autre histoire !

Champs de Blés Anciens, Trésors de Sicile
Champs de Blés Anciens, Trésors de Sicile

Au royaume du blé dur…

« Le pain sicilien a la caractéristique d’avoir une belle croûte parfumée qui sent le caroube (cette petite odeur chocolatée), et le caramel. Sa mie -avec une grande palette aromatique selon les blés utilisés-, est moelleuse, serrée. Elle possède une humidité qui ne doit jamais être excessive, surtout pour nos pains cuits au feu de bois. »

La douceur de la texture venant de l’époque où le pain, préparé tous les 4, 5 jours, devait rester tendre.  Mario Puccio partage quelques préférences, à commencer par la mafalda. Typique de Palerme, sa croûte est parsemée de graines de sésame. « Cela donne un goût inimitable ! Il y a aussi un excellent pain à Monreale, un petit village proche de Palerme. Préparé avec de la farine de blé dur, il est cuit dans un four à bois qui doit être strictement alimenté avec de l’olivier, des branches de citrus ou de chêne. Une tradition très ancienne toujours perpétuée. »

« J’aime aussi beaucoup le ″pane di San Giuseppe″. Dont la forme varie selon les régions. A chaque fois que j’en mange, son parfum me rappelle de nombreux souvenirs d’enfance ! Il est préparé surtout le 19 mars, en honneur du Saint Giuseppe (Saint José). Sa particularité est d’avoir des graines de fenouil dans le mélange qui lui donnent une saveur vraiment unique.»

 Un autre pain cher au chef, référence historique de la panification sicilienne: le pain noir de Castelvetrano, (pane nero de Castelvetrano), une petite ville de la province de Trapani. Une merveille, aux arômes doux et grillés et malt et d’amande, passée par une cuisson lente dans un four en pierre, élaborée avec mélange de deux farines (un blé blond sicilien et, la farine de Tumminia, une variété de blé sicilien ancien). Toutes deux intégrales, passées par des meules en pierre naturelle.

Le blé dur « Tumminia », symbole d’une identité territoriale…

Très cultivé avant le deuxième guerre mondiale puis tombé en désuétude, le blé dur Tumminia se répand à nouveau. Ses nombreux atouts le remettant au cœur des tendances actuelles : résistant à la sécheresse, il est peu demandeur en produits phytosanitaires, pauvre en gluten avec une forte teneur en protéines et en fibres. Sans parler de ses exceptionnelles qualités organoleptiques.

Farine intégrale, culture respectueuse, moulins à pierre…Ce retour aux modèles anciens porte aussi, face à de grands groupes semenciers mondiaux, la bataille menée par des cultivateurs siciliens pour enrichir la biodiversité de leur île, pour protéger et développer la valeur historique de ce patrimoine. Une sorte de « révolution paysanne » qui se fait de plus en plus entendre…

« Il y a beaucoup de travail et de recherches avec les graines anciennes, les lieux de plantations , de nouvelles  techniques autour des blés comme les Russello, Cappelli, Perciasacchi, Bidì, Biancolilla, Maiorca…qui sont toutes des variétés de blé ancien autochtone, sans mycotoxines et pauvres en gluten. Par conséquent, elles trouvent également leur utilisation en cuisine. »

Des levains aux parfums d’agrumes

« Ces dernières années, de nouvelles techniques de fermentation sont utilisées, comme celles avec des agrumes (qui en Sicile, sont d’excellence !). Nous aimons aussi ajouter dans la pâte à pain nos câpres IGP de Pantelleria, les olives Nocellara del Belice, les oignons Giarratana, la tomate Siccagnu… Pour donner quelques exemples des ingrédients qui caractérisent nos types de pains ″gastronomiques″.

Des farines d’amandes, de pistache, de pois chiches… Mais jamais de polenta !

Desserts, biscuits de tradition et granita font la part belle aux farines d’amande et de pistache.

La farine de pois chiche se retrouve dans des préparations salées, comme le sandwich Panelle e Crocchè.

Pour ce qui est de la polenta surtout, ne jamais en demander en Sicile ! Ce serait mal élevé : nous sommes dans le royaume du Blé et c’est une préparation typique du Nord. On peut en revanche trouver du maïs en épi qui se mange bouilli (mais plutôt à l’intérieur des terres).

Avant de quitter Mario Puccio et la Sicile, reparlons gastronomie

La cuisine de rue sicilienne est réputée comme l’une des meilleures au monde, elle-même étant le reflet d’une gastronomie opulente et complexe, riche d’une Histoire pétrie de multiples cultures.

Qu’en est-il de sa présentation à l’international ? Le chef peut en témoigner, car souvent sollicité pour des démonstrations dans des salons, des ambassades, des instituts de formation, qui l’ont emmené au Québec, en Belgique, et même en Lettonie !

« Les deux recettes auxquelles je suis particulièrement attaché :  les ″anelletti alla siciliana″ et les ″arancine″. La première est une timbale de pâtes anelletti (un format typiquement sicilien), préparée avec une sauce à la viande, où se rajoutent salami, fromages, aubergines frites et œufs durs, avec une sauce béchamel. Les pâtes sont ensuite mises dans des moules, cuites au four puis retournées après la cuisson (comme une tarte Tatin). »

Concernant les arancine, ce sont des boulettes de riz farcies, qui peuvent l’être de deux façons: à la viande et petits pois ou, avec une mélange de béchamel, jambon et mozzarelle. Boulettes ensuite passées dans un mélange d’eau et de farine, puis panées dans une chapelure et frites.

« Ces deux recettes sont toujours très appréciées. Je crois qu’à la base d’une gastronomie, il est essentiel d’avoir de beaux produits et la Sicile nous donne à nous cuisiniers, un grand choix de biodiversité en produits de la terre et de la mer. »

Dans ce joyau culinaire, un peu de notre empreinte…

Pour cela, il nous faut remonter aux « Monzù », le nom donné aux cuisiniers français que faisaient venir les Bourbons à l’époque de leur domination en Sicile, entre le 18e et le 19e siècle.

Allez, retirons un soupçon de fierté d’une possible contribution, tout en gardant une nécessaire humilité !

Le site Internet de Mario Puccio : paroladichef.it

Le pain, une affaire sérieuse pour les Siciliens, première partie

À (re-)lire ici : latdm.fr/horizons-52