Donner un nouvel avenir au pain ! (Par Christian Rémésy)

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La France n’a jamais produit autant de blé (près de 40 millions de tonnes) et consommé si peu de pain.  Avec une telle abondance, le coût du blé entre pour moins de 5% dans le prix du pain. Le blé est devenu une matière première qui sert presque indifféremment à la panification, à l’alimentation animale, à l’exportation ou à d’autres usages tels que l’amidonnerie ; pour un peu, on le brûlerait dans les chaudières. Pour les agriculteurs, le seul critère de qualité retenu est la teneur en protéines, que les meuniers s’empressent en plus d’ajuster en ajoutant plus ou moins de gluten dans les farines. Pour produire du blé le plus élevé possible en protéines, l’agriculture n’hésite pas à faire un usage immodéré d’engrais azotés, très coûteux en terme d’émission de gaz à effet de serre et très polluants pour  les nappes phréatiques et les eaux de ruissellement, et d’accompagner cette intensification de force pesticides. La boulangerie fait la fine bouche si la force boulangère n’est pas au top niveau. Souvent le prix du blé est insuffisant pour bien rémunérer les agriculteurs qui doivent leur survie à la PAC. Pour dégager un revenu, les rendements en blé doivent être très élevés et avec la complicité du CTPS, seules les variétés de blé les plus productives et d’excellente force boulangère sont inscrites. Tant pis pour les nuisances écologiques, tant pis si une frange significative et croissante de consommateurs  développe une phobie nouvelle pour le gluten. Tant pis si les meilleures variétés de blé, potentiellement les plus riches en micronutriments ne sont pas sélectionnées et mises en culture, tant pis si le pain exprime à peine le tiers de la valeur nutritionnelle du grain de blé. De dérives en dérives, le pain se marginalise, les petites boulangeries ferment, les meuniers écrasent de moins en moins de blé et les français continueront à manger moins de pain. Insensible à tous ces changements, la filière va continuer à faire des cocoricos sur l’excellence de la baguette française. J’ai beau réfléchir, je ne vois pas quels sont les gagnants d’une telle évolution, mais par contre en tant que nutritionniste  avec une compétence reconnue sur le pain, j’ai une idée assez précise des mesures à prendre pour sortir de cette spirale négative. Je vais vous les résumer très succinctement avec le peu d’espace dont je dispose.

Tout d’abord il serait souhaitable d’identifier et contractualiser une production de blé la plus écologique possible destiné à la panification, en privilégiant l’échelon régional, et en informant les consommateurs sur l’intérêt écologique de la démarche. Les agriculteurs accepteront volontiers  un cahier des charges s’ils sont rémunérés en conséquence, voire se convertiront au bio.

Finissons en avec l’inscription des variétés les plus productives, les plus dotées de gluten performant, les moins rustiques ; la recherche d’une qualité nutritionnelle élevée  devrait prévaloir sur les seuls objectifs actuels de rendement quantitatif. Les critères qualitatifs devraient concerner principalement la richesse en micronutriments et donc la qualité des sons où ils sont accumulés. Avant que de telles variétés modernes ne voient le jour, accélérons le retour aux blés anciens panifiés en mélange avec des blés modernes, les deux types de blé se complètent parfaitement. La deuxième initiative, vous la connaissez, serait d’harmoniser la densité nutritionnelle des farines issues de moulins à cylindre avec celle plus élevées des farines obtenues à la meule de pierre. Depuis la nuit des temps, ces farines étaient au moins du type 80 et il n’y a aucune raison que la mouture à cylindre  aboutisse à une dévalorisation des farines. La généralisation de la T 80 est possible, il est inutile de procrastiner. De plus, il faudrait exiger de la DGCCRF que la signification du type soit enfin normalement explicitée, que l’administration participe au maintien de cet obscurantisme est inadmissible. Avec cette évolution, nous aurions déjà accompli beaucoup de progrès, mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Il faut panifier autrement et en particulier apprendre à fermenter les sons. Il est totalement inutile de doper les farines par du gluten ou des enzymes et de rechercher un pain très aéré, sous peine d’en faire un glucide rapide. Le pétrissage devrait être réduit au strict minimum, en laissant se former le réseau de gluten dans le temps de latence de quelques dizaines de minutes ménagé entre  le frasage et le pétrissage. Si on évite les dégâts habituels d’un pétrissage conventionnel, le pain se conserve bien, et la quantité de sel peut être réduite à 12 g par kilo de farine, c’est un progrès considérable pour l’index glycémique et pour la valeur santé du  pain. Bien sûr, la panification au levain est la mieux indiquée pour l’abaissement du pH et l’activation des enzymes de la pâte. Les producteurs de levure devraient envisager d’enrichir la levure en bactéries lactiques, afin de reproduire partiellement l’action du levain. Le travail des enzymes végétales de la pâte devrait être optimisé en privilégiant les longs pointages à température suffisamment élevée et pour permettre cette maturation enzymatique, l’ensemencement en levure ou en levain devrait être très modéré. Enfin la valeur nutritionnelle du pain pourrait être assez systématiquement accrue en utilisant des sons fermentés, puisque les enveloppes du blé nécessitent un traitement fermentaire plus poussé que celui de la farine (hydrater le son à 320% et le fermenter 15à 20 h avec très peu de levain). La possibilité de choisir l’origine des sons est extrêmement intéressante et en ajouter 50 g par kilo de farine ne pose aucun problème en panification, il en est de même pour les farines de légumes secs qui doivent subir une fermentation préalable.

En adoptant toutes ces mesures, on obtient un pain de bien meilleure valeur nutritionnelle. Il revient aux boulangers de franchir ce pas, les consommateurs suivront si l’ensemble des modifications de la chaîne du pain leur ait bien expliqué, le Ministère de la Santé encouragera, les écologistes applaudiront et la filière blé-pain retrouvera un second souffle et surtout elle donnera un sens plus profond et consensuel à son activité. Voilà une belle espérance !