Le conjoncturel, par Amandio Pimenta

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D’abord, en préalable précisons que dans ce billet, il ne s’agit pas d’attaquer ou de mettre en cause qui que ce soit, mais de faire un constat juste de nos manquements collectifs afin de dégager ensemble des possibilités de solutions à terme pour nos entreprises. Quatre dossiers sont extrêmement préoccupants en ce début d’année 2022 : 1, le manque de main d’œuvre qualifiée, 2, la pénétration des produits industriels finis ou semi-préparés dans l’artisanat, 3, la cession des fonds de commerce de boulangerie qui au-delà des difficultés de financement manquent cruellement de repreneurs, 4, la baisse de la consommation de pain qui continue.

Ces quatre grands dossiers ont eux-mêmes des sous-catégories de problèmes qui interagissent au quotidien dans nos entreprises et nous allons en aborder quelques-uns ensemble.

Commençons par le constat sur le manque de main d’œuvre qualifiée et les solutions ou correctifs que nous pouvons envisager.

Sur ce point, il nous faut faire un retour quelques années en arrière pour comprendre où l’ensemble de la profession a commis une erreur.Débutons par les années 1970 à 1980. En ce temps-là, la dimension sociale de la boulangerie artisanale était en avance sur le reste de la société malgré un métier dur et exigeant. Nous avions la prime de Noël, la cinquième semaine de congés payés, un meilleur pouvoir d’achat… qui compensaient les difficultés du métier en octroyant un plus financier par rapport aux autres salariés des autres métiers.De nos jours tout est nivelé, plus aucun avantage et des inconvénients qui restent : travail les jours fériés, travail encore souvent de nuit, travail le dimanche, travail pour les fêtes de Noël, Pâques auxquels s’ajoutent des jours de repos parfois disséminés dans la semaine à cause de l’ouverture 7 /7 ; tout ceci nuit à l’organisation de la vie familiale du salarié. Au-delà, le différentiel en terme de salaire entre un personnel qualifié et un personnel  qui ne l’est pas s’est considérablement réduit.La conséquence de cette déconstruction ou de la non-prise en compte de l’évolution sociétale en matière sociale et salariale fait que depuis environ 20 ans notre situation s’aggrave. Si depuis des années les entrées dans le métier par l’apprentissage se maintiennent, la rupture pendant et après l’apprentissage qui fait que plus de la moitié des jeunes arrêtent définitivement le métier représente un véritable fléau. Cette situation tarit inexorablement notre vivier de salariés et à terme celui de futurs repreneurs des fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie. Nous ne parlerons pas des reconversions car en général elles ne vont pas grossir le vivier de salariés mais sont guidées par un projet d’installation et souvent de création. Ces reconvertis auront d’ailleurs eux aussi besoin de salariés qualifiés. Sur ces points, il nous faut donc imaginer et mettre en place un nouveau contrat social et salarial du métier. Cela passe par la refondation de notre convention collective vers une vision sociale et salariale renouvelée. Par exemple, en mettant en place la semaine de 4 jours lorsque c’est possible au magasin ou à la fabrication, notamment  pour un tourrier ou pour les vendeuses, en  encourageant la stabilité des salariés grâce à des primes à l’ancienneté qui aient une vraie valeur et en cherchant d’autres idées concrètes de ce genre à discuter entre partenaires sociaux. Il faut que le salariat devienne attractif.

Bref, l’imagination et le volontarisme doivent se traduire par des avancées concrètes qui seront des solutions efficaces à moyen terme. En 5 ou 6 ans, nous, artisans, pouvons reprendre le pouvoir sur ce que nous subissons tous, et qui nous emmène doucement mais sûrement à perdre notre identité artisanale, ou pire à mettre en péril notre existence d’artisanat indépendant. Cela passe bien entendu par tout un travail sur : l’adaptation des fonctionnements des CFA et des référentiels pédagogiques, la réaffirmation des perspectives de carrière et des possibilités d’ascenseur social qui obligatoirement devront en résulter, la loyauté de concurrence et d’information auprès du consommateur, le respect du besoin de ce dernier de naturalité des produits et de leur valeur nutritionnelle par la prise en compte dans les référentiels pédagogiques de techniques telles que RESPECTUS PANIS.

La pénétration des produits industriels en artisanat

Actuellement, le corollaire de ce manque de main d’œuvre avec un marché qui se maintient, c’est que pour répondre à la demande, de plus en plus d’artisans utilisent des produits industriels faute de pouvoirs les fabriquer. A court et moyen termes, les conséquences vont être catastrophiques pour notre métier : manque de différenciation entre artisanat et industrie ou chaîne, impact structurel sur la formation initiale et continue, déstructuration et détérioration économique de la filière en particulier par la réduction de sa part rentable que constitue la part de marché artisanal indépendant, pour la meunerie. Mais également remise en cause des investissements en CFA ou lycées professionnels par la baisse du nombre d’apprentis. Moins d’entreprises = moins d’apprentis = moins de moyens financiers…, remise en cause de la couverture territoriale de la boulangerie artisanale. Sur ce point, l’augmentation de la pénétration des produits industriels ou semi industriels dans l’artisanat indépendant est directement reliée à notre affaiblissement économique général, a notre perte de savoir-faire, et au final à notre perte de parts de marché. Comme nous le constatons depuis plus de 20 ans. Il est vital et urgent d’enrayer ce processus mortifère pour notre métier.

La difficulté des cessions de boulangerie-pâtisserie et de leur financement.

Principalement trois points centraux sont observables : le premier, la boulangerie est devenue un métier à risque pour le banquier. Nous en connaissons les raisons et il faut rapidement y remédier par une meilleur formation en connaissance globale de l’environnement de l’entreprise artisanale ; le deuxième, c’est le manque de candidats dû au rétrécissement du vivier du salariat ; le troisième, c’est la faiblesse technique de nombreux repreneurs qui manquent de maitrise technologique suffisante.  La cause principale en est la formation initiale et qualifiante dont le niveau en enseignement général a très largement baissé, même si, ici ou là, il existe des poches de grande qualité. Là encore des solutions sont possibles. A commencer par l’embauche de formateurs de bons degrés de connaissances et de compétences…ou par une formation continue à la hauteur pour remonter et mettre ou remettre à niveau les formateurs en place…

La baisse continue et dramatique de consommation de pain.

Sur ce point se pose une question : depuis combien d’années n’y a t’il pas eu de campagne nationale de communication sur les bienfaits du pain en tant qu’aliment nutritif ? Avec la filière, il y a des moyens, et il faut les réorienter en ce sens. Depuis combien d’années il n’y a plus de congrès ou de rencontres générales avec les nutritionnistes, des médecins généralistes, ou encore des médecins spécialistes. Mais également les journalistes de la presse écrite nationale et régionale, pour faire connaitre l’avancée des connaissances positives qui impactent directement les consommateurs en matière santé publique ?  Singulièrement en ce qui concerne le diabète, le cholestérol, l’hypertension, l’apport d’acides gras omégas 3, l’apport d’acides aminés essentiels catalyseurs du métabolisme des protéines, et autres…vitamines, antioxydants, polyphénols … Le pain propose des solutions nombreuses en matière de santé publique qui sont encore trop méconnues du monde politique et du monde médical…

En conclusion provisoire, et bien entendu incomplète compte-tenu de l’espace, il convient de dire que pour être efficace, faire un constat est un passage obligé.  Mais c’est insuffisant pour résoudre à moyen terme nos mortelles difficultés.  Il faut définir un cadre, des moyens, une stratégie pour atteindre des objectifs clairs. L’objectif global et fondamental, c’est de stabiliser la situation de l’artisanat boulanger-pâtissier indépendant dans notre pays.

Le cadre : la revendication d’un statut particulier pour l’artisanat alimentaire fort pourvoyeur de main d’œuvre.

Les moyens : une prise en compte sur le plan comptable de l’amortissement d’une partie de la masse salariale, qui dégage les moyens de revalorisation des salaires sans déséquilibrer les comptes de l’entreprise.

La stratégie : passer par une loi d’orientation, ou une loi programme pour  l’artisanat alimentaire où tous ces points seraient pris en compte, mais  que cette loi soit élargie aux abus de position dominante de certains fournisseurs ou actionnaires qui se profilent à l’horizon. Notamment en matière de souveraineté alimentaire, nous serons peut-être amenés à demander à l’Etat que des quotas en matières premières soient réservés au marché français et ne puissent pas être exportés de façon à pouvoir fournir les consommateurs français dans de bonnes conditions à des prix convenables. Nous avons tous et toutes besoin que notre Confédération Nationale ou que notre ministère de tutelle crée une commission spéciale had hoc ou une structure de réflexion prospective et de propositions stratégiques fortes afin de mettre en œuvre et de porter cette refondation qui seule sauvera nos entreprises artisanales indépendantes, leur force et leurs valeurs.