Cohérence et nutrition – Michel BOULANGER

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Michel Boulanger

La profession, régulièrement, se désole de la désaffection des Français pour le pain.  Au point d’investir dans de coûteuses campagnes de communication.

Il est vrai que le pain, même s’il reste très prégnant dans notre culture alimentaire, a depuis longtemps perdu le statut, l’aura même, que lui accordaient nos aïeux. A côté d’une assez incontournable évolution des modes de vie et habitudes de consommation, il est courant d’attribuer ces changements à une perte de qualité, en résumé un manque de goût et de conservation.  Il y a eu de ce côté, même si ce mouvement est bien loin d’être généralisé, un net renouveau dans la profession. Et c’est heureux car ce bond qualitatif participe également à la revalorisation du savoir-faire artisanal.  Mais on ne peut pas à la fois souhaiter au pain une place royale sur la table des Français et négliger ses qualités nutritionnelles… un peu de cohérence quand même !

La qualité de l’alimentation fait partie des préoccupations de nos contemporains, souvent un peu n’importe comment d’ailleurs, au gré des humeurs des médias et des « modes », mais ce questionnement ne peut être négligé par le boulanger.  A part quelques tentatives courageuses comme celle de Mr. Morieux dans ces pages il y a peu, la profession ignore trop souvent les thématiques nutritionnelles, voire leur réserve un enterrement de première classe comme ce fut le cas en janvier de cette année par la Fédération (Observatoire du Pain) et son Symposium sur le gluten.

Quels sont les aspects nutritionnels qui nous concernent, nous, dans notre fournil ? J’en retiendrai ici quelques-uns qui me paraissent prioritaires.

 

Du côté des matières premières tout d’abord

Résidus de pesticides (utilisés à la culture et au stockage des céréales) dans la farine : quelle information recevons-nous de notre meunier sur cette question ?

Teneur en fibres : la farine T55 reste encore souvent utilisée pour la confection du pain. Une T65 est déjà beaucoup plus riche en fibres, essentielles sur un plan nutritionnel. L’idéal serait la T80, même si elle me paraît sensiblement plus difficile à utiliser pour des produits à croûte fine.

Teneur en sel : le thème est bien connu maintenant dans le métier. Des substituts existent sur le marché mais je n’en vois pas trop l’utilité.  Pour ma part, depuis trois ans, je diminue chaque année le taux de sel d’un gramme, sans aucune réaction de la part de la clientèle, sans aucun souci technique.  L’an prochain j’aurai atteint les 18g recommandés par le P.N.N.S.

Absence d’additifs (même ceux qui, légalement, ne sont pas tenus d’être qualifiés comme tels et/ou ne sont même pas indiqués sur l’étiquetage) ajoutés dans les farines ou au fournil (adjuvants de panification) : ce n’est pas parce que notre pain est dispensé d’afficher la liste des ingrédients que nous ne pouvons pas communiquer sur ce thème avec nos clients. Les médias d’ailleurs s’y intéressent de temps à autre. Mais elles sont très rares les farines qui ne contiennent que du blé ! Et il faut aussi se donner la peine de les travailler. Gluten ajouté, acide ascorbique, enzymes issus d’O.G.M., émulsifiants, matières grasses hyper travaillées industriellement, etc. Quelles démarches sommes-nous prêts à faire pour nous passer de ces substances ?

Limitation du gluten : le gluten est un composant naturel du blé, d’accord. Mais on ne peut ignorer ni l’évolution génétique des blés qui aboutit à une teneur très élevée en molécules de gluten de grande dimension (moins aisément assimilables) ni la tendance quasiment systématique à « corriger » les farines boulangères par une addition de gluten issu de procédés industriels dont nous ne savons à peu près rien. Et ce alors que l’artisan, si le meunier veut bien lui procurer une farine « loyale », peut tout à fait se passer de cette complémentation.  Force est de constater que, à côté des personnes « cœliaques » qui ne tolèreront pas  la moindre molécule de gluten dans leur alimentation, il existe un nombre de plus en plus important de personnes, dont des professionnels de la santé, qui évoquent une intolérance – réelle ou fantasmée – ou une difficulté d’assimilation du gluten. Alors, pourquoi ne pas prendre les devants et diminuer notre dépendance « technologique » au gluten ?

Le boulanger ne se réduit pas à un utilisateur de matières premières, il est avant tout le magicien de la fermentation. Que celle-ci soit menée à l’aide de levure cultivée industriellement ou sur base de levain, une fermentation soignée, qui prend le temps, permettra une transformation profonde de la pâte aboutissant à un produit nettement plus assimilable, d’une qualité nutritionnelle supérieure.  Il est de plus en plus souvent admis par les scientifiques que la fermentation (la vraie, pas celle qui consiste à produire un maximum de gaz en un minimum de temps) augmente l’assimilabilité du gluten et la bio-disponibilité des minéraux ou encore diminue l’indice glycémique. Voilà des thèmes qui intéressent de plus en plus nos clients.  Alors, faites des bulles !

Voilà une série de pistes, parmi d’autres certainement.  « I have a dream »: que les artisans, chercheurs, MOF et autres investissent ce terrain et contribuent ainsi à la revalorisation de nos produits et de notre métier.

 

Michel BOULANGER