Le Gluten et l’intolérance digestive

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Le problème de l’intolérance digestive au gluten, sous ses diverses formes (maladie coeliaque, allergie, ou hypersensibilité sous une forme différente de la maladie coeliaque) est devenu ces dernières années un sujet récurrent en matière d’alimentation, largement relayé par les médias et une source d’inquiétude pour beaucoup de consommateurs.

 

La nécessité d’éliminer toutes les sources de gluten chez les sujets atteints de maladie coeliaque est bien connue. Heureusement, les allergies au blé chez les consommateurs sont assez rares. Reste donc cette hypersensibilité au gluten dont se plaignent beaucoup de nos contemporains.

Le sujet est complexe sur le plan physiologique et il est bien difficile de faire la part des problèmes digestifs réels ou subjectifs, compte tenu de l’impact de la rumeur, une phobie nouvelle vis-à-vis du gluten entretenue par les témoignages de nombreux « people » et sportifs.

Fondé ou pas, ce sujet doit être pris très au sérieux par les professionnels de la boulangerie, car si rien n’est fait, l’image du pain pourrait se dégrader avec des conséquences économiques négatives pour notre secteur d’activité. Il est donc important pour nous professionnels de la production et commercialisation du pain, mais aussi pour les formateurs  et plus généralement pour tous les acteurs de la filière de faire un point sur cette question. Nous n’avons pas la compétence pour faire une présentation scientifique approfondie de ce sujet ; en revanche, nous pouvons dès à présent mieux informer un large public sur cette question et sensibiliser les acteurs de la filière blé pain sur les initiatives à prendre pour maîtriser ce problème.

Constat

Dans le monde médical, mais aussi dans nos magasins au quotidien nous avons de plus en plus de questionnement sur le gluten.  De plus en plus de clients se disent intolérants au gluten sans avoir été dépistés et sans véritables diagnostics médicaux. Il est dans ces conditions extrêmement difficile de mesurer exactement  la réalité de ces ressentis. Néanmoins en tant que spécialistes du pain, il nous faut prendre en charge les préoccupations et interrogations  de nos clients. Ceci  est d’autant plus valorisant que nous pouvons déjà apporter des réponses intéressantes pour éclairer ou prévenir ce problème. Bien entendu, pour ce qui est de la maladie cœliaque, nous ne pouvons en tant qu’artisan répondre aux besoins du consommateur, dans la mesure où il faut un  diagnostic médical, et s’il est positif il faudra exclure toutes les sources de gluten.
Pour les cas d’intolérances moyennes ou légères, les artisans boulangers peuvent proposer des pains dont la digestibilité sera considérablement améliorée par un choix de farines et une panification appropriés. Il y a quelques dizaines d’années, les personnes se plaignant du gluten étaient moins nombreuses voire assez rares. Depuis que s’est-il passé ? Quels changements ou modifications sont susceptibles d’avoir  entrainé une moins bonne digestibilité du gluten ? D’abord d’une façon générale, nos modes de vie et d’alimentation ont été bouleversés. La population a subi une transition alimentaire et consomme maintenant une offre alimentaire largement d’origine industrielle. Il est probable que le remplacement des aliments  naturels par des produits transformés ait fragilisé l’intestin de nos contemporains.

Sur le plan de la filière blé pain, bien des facteurs ont changé : la qualité des farines, l’addition de gluten ou d’autres additifs et auxiliaires, la nature des levures, le pétrissage, la conduite de la panification. Historiquement, nous sommes passés d’un pétrissage de faible intensité au pétrissage intensifié même s’il semble actuellement mieux maîtrisé. Dans le même temps, nous sommes passés de la meule de pierre au moulin à cylindre avec une mouture de plus en plus fine. Par ailleurs, les blés ont été sélectionnés par croisement génétique pour accroître leur productivité et leur valeur boulangère. Le gluten des blés modernes a de fortes capacités de résistance et de viscoélasticité, susceptibles de rendre sa digestion plus difficile. La panification au levain a été largement abandonnée au profit de la levure. Enfin les processus de fabrication et de distribution des pains se partagent  aujourd’hui presque à parts égales entre l’artisanat et l’industrie, avec un nombre possible d’intrants qui lui aussi a modifié considérablement la panification : additifs, auxiliaires, adjuvants, amylases et enzymes de dernière génération. Toutes ces évolutions ont apporté des changements plus ou moins palpables sur la digestibilité du gluten. Il devient maintenant indispensable de maîtriser les facteurs susceptibles d’améliorer la tolérance au gluten pour l’organisme.

Les solutions de l’artisan

D’abord, il faut préciser que pour la majorité de nos clients au quotidien, la digestibilité  du gluten présent dans le pain ne semble pas poser de problème particulier. Il est donc inacceptable de laisser diaboliser la fabrication du pain sous sa forme courante, d’autant que le gluten est une protéine, et que nous avons besoin de consommer des protéines d’origine végétale.  Mais cela ne signifie pas que l’on ne puisse pas améliorer les modes de panification pour rendre le gluten plus digestible, et répondre ainsi aux problèmes  des personnes qui ressentent une gêne avérée ou supposée vis-à-vis du gluten. Par ailleurs, il est possible d’utiliser d’autres ingrédients que la farine de blé tendre pour faire du pain, ce qui permet de réduire les teneurs en gluten. Voyons d’abord les améliorations que nous pouvons apporter à la fabrication du pain à partir du blé tendre, en ciblant en particulier la baguette qui est le pain de grande consommation par excellence.

Cette approche a un double intérêt. Elle permettra de proposer des pains mieux tolérés par les personnes sensibles au gluten. D’autre part, c’est aussi une occasion d’améliorer la qualité gustative et nutritionnelle du pain, par exemple son index glycémique, ou tout simplement sa conservation. Cette recherche réfléchie permet de sortir des produits de niche à faible taux de gluten avec des volumes de fabrication trop faibles pour être viables commercialement.

Nous ne développerons pas volontairement les aspects purement scientifiques, dans la mesure où il n’existe pour le moment que très peu d’informations objectives et indépendantes. Nous allons donc privilégier le bon sens,  l’expérience pratique et la maitrise technique. Pour commencer, il nous faut dans notre tête sortir des schémas de panification courants. Ensuite, savoir quels types de pains nous souhaitons faire.

Le choix des variétés de blé

La teneur en gluten des farines n’a que légèrement augmenté sur les 40 dernières années, c’est surtout la nature et la structure du gluten qui a évolué. Nous sommes passés  en moyenne d’un w de 100 voire moins dans les années 1970 à des w de 180 à 250 de nos jours, ce qui signifie que la structure moléculaire du gluten a changé, le rendant plus viscoélastique et sans doute plus difficile à dégrader par les enzymes pancréatiques. En plus de cela, une grande partie des farines sont enrichies en  gluten ajouté. Face  à cette évolution, la marge de manœuvre des boulangers est faible. Il leur est possible toutefois de demander des farines sans gluten, d’utiliser lorsqu’elles sont disponibles des variétés régionales anciennes, d’apprendre à faire du pain avec des farines de valeur boulangère bien moyenne, de stopper cette course à la recherche de farines parfaites à travailler qui aboutissent à la formation d’un réseau de gluten trop difficile à digérer. Il n’y pas de raison que l’on ne trouve pas dans l’immense collection de blés des sélectionneurs des variétés avec une digestibilité satisfaisante du gluten, mais à ce jour il est difficile d’avoir des informations objectives  sur ce sujet. C’est une nouvelle demande qui doit être faite à la filière blé.

La mouture

La mouture à la meule de pierre a pour avantage de donner directement des farines de type 80, et d’après certains spécialistes de ce type de mouture, le gluten ne subirait pas de dénaturation susceptible d’altérer sa digestibilité. Les boulangers qui le peuvent gagneraient à s’équiper de moulins (type Astrié ou du Tyrol) en particulier pour disposer de farines très fraîches et peu oxydées.
En moulins modernes à cylindres, les techniques actuelles visent à séparer entièrement la farine des enveloppes, ce qui nécessite de nombreux passages et aboutit à des farines appauvries en micronutriments, avec des altérations possibles du gluten.  La recherche d’une granulométrie trop fine est certainement une erreur sur le plan nutritionnel. D’ailleurs il serait possible de préserver une partie des semoules vêtues issues des premiers broyages. Il est facile de comprendre que plus on réduit la taille des particules de farine, plus on provoque des oxydations ou des altérations inutiles. La technique qui consiste à introduire 15 à 20% de blé grossièrement broyé, concassé ou aplati est évidemment intéressante, non seulement pour disposer de la totalité des micronutriments du grain, mais aussi pour  réduire au maximum les altérations provoquées par le broyage.

Le pétrissage

Le pétrissage, même de faible intensité à un effet considérable pour créer un réseau de gluten résistant, laissant à nu les grains d’amidon alors qu’ils étaient protégés, enchâssés par les protéines du gluten. A la cuisson, l’amidon va éclater, gélatiniser plus facilement avant de rétrograder vers sa première configuration cristalline, ce qui provoque le rassissement du pain. La réduction du pétrissage à sa plus simple expression est donc la voie royale pour éviter la formation d’un film de gluten trop résistant et pour améliorer l’index glycémique du pain et sa conservation.

Techniquement de nos jours, nous avons les moyens de réduire considérablement les temps de pétrissage. Dès à présent pour toutes les baguettes marquetées en pointage bac ou en fermentation à basse température, le pétrissage se fait uniquement en première vitesse après autolyse. Techniquement par rapport à un pétrissage amélioré de qualité en deuxième vitesse,  la durée du pétrissage est ainsi réduite de plus de moitié ! Il est possible aujourd’hui d’aller beaucoup plus loin, de reproduire le pétrissage manuel de nos aïeux.  Il suffit simplement d’associer les autolyses assez longues,  un pétrissage minimum, et les rabats avant et après début de fermentation afin de « finir » ou de parfaire le réseau de gluten sans trop le dénaturer.

La fermentation

C’est probablement la deuxième étape fondamentale par ordre d’importance qui a une influence considérable  sur la digestibilité du gluten.

Nous savons tous, que plus nous avons d’acidité,  plus celle-ci va attaquer le gluten en activant les protéases de la pâte. Or cette amorce de la dégradation du gluten est essentielle pour accroître sa digestibilité. L’art du boulanger est donc de réaliser des fermentations suffisamment longues à pH suffisamment acide, pour amorcer la dégradation du gluten, en évitant bien sûr les excès d’acidité et la liquéfaction du gluten et de la pâte.
Il est clair par contre qu’une panification à la levure avec un temps de fermentation trop bref ou plus long mais à basse température ne permettra pas de scinder le gluten et de faciliter sa digestion. La fermentation doit aboutir à une certaine acidification de la pâte, c’est sans aucun doute cette acidification que trop de boulangers négligent ou ne maîtrisent pas.

La diversification des matières premières pour diminuer la teneur en gluten

On assiste à  l’augmentation d’une offre de pains sans gluten, composés avec des ingrédients bien peu naturels qui n’ont aucun  intérêt gustatif ou nutritionnel, si ce n’est leur affichage sans gluten. Laissons cette voie à l’industrie agroalimentaire, elle brouillerait l’image de la boulangerie artisanale si cette dernière  l’empruntait. Nous pouvons faire en sorte que la panification améliore la digestibilité du gluten, tout en réduisant aussi la teneur du gluten  en  introduisant d’autres farines que celles du blé. Les deux ingrédients majeurs disponibles et facilement utilisables sont la farine de maïs et  la semoule de blé dur.

Prenons le cas d’une baguette avec  70% de farine de blé et 30% de farine de maïs. Nous obtenons en pointage bac une baguette magnifique. Puisqu’ il n’y a pas de gluten dans le maïs, il est possible d’afficher une réduction  de 30% des teneurs en gluten  et sans doute plus puisque les baguettes traditionnelles sont souvent confectionnées avec des farines enrichies en gluten. Les pains mixtes blé  maïs sont produits dans beaucoup de régions du monde. Une allégation de réduction en gluten devrait leur assurer grand succès.

L’autre ingrédient que les boulangers gagneraient à utiliser pour satisfaire leur clientèle est la semoule de blé dur. Celle-ci possède un réseau de gluten plus fortement associé au grain d’amidon et donc moins susceptible d’être altéré par le pétrissage. Des pains à base de blé dur  sont de très grande qualité puisque le gluten est moins remanié qu’avec le blé tendre. L’association à part égale de blé dur et de blé tendre est également une excellente solution pour obtenir un pain souple et coloré.

Les boulangers peuvent même proposer un pain avec zéro gluten en utilisant la farine de sarrasin. Ce pain pourra être confectionné sous une forme de boule rustique  avec une méthode semblable  au seigle auvergnat. Il  aura ainsi une  belle texture, un bel aspect, avec bien évidemment le goût et la typicité de la farine de sarrasin. Ce produit répondra sans aucun doute à la problématique d’une intolérance assez forte en matière de digestibilité du gluten.

Plus encore, développer une gamme de pains de haute valeur nutritionnelle

Il n’est pas utopique de concevoir une gamme de pains capables de satisfaire la majorité des besoins nutritionnels. Comme pour bien d’autres secteurs, la recherche de pains de haute valeur nutritionnelle devrait permettre aussi de faire progresser la qualité de l’ensemble de l’offre. Quatre critères principaux pourraient être retenus dans la définition de ces pains de haute valeur nutritionnelle.
La première condition est d’utiliser des farines  de type 80 – 110. Une farine courante de type 65 avec un apport  de 10 à 25% de blé entier concassé et pré-trempé est la manière la plus sûre de disposer de la totalité des micronutriments du grain de blé, sans aucune altération due à la mouture ou à la conservation de la farine.

Pour parfaire la qualité nutritionnelle du pain, il convient aussi d’améliorer la valeur biologique des protéines du blé trop pauvres en lysine par l’addition de graines de légumineuses dont la composition en acides aminés est complémentaire de celle des céréales. La meilleure solution  pour ne pas trop modifier l’aspect et le goût du pain est d’incorporer 10 à 25% de  farine de pois chiches. On assiste déjà à la révolution des pâtes alimentaires  confectionnées de plus en plus avec un mélange de céréales et de légumes secs, et il serait bon qu’une telle évolution touche aussi le pain.

Le pain peut être aussi une source importante des deux acides gras essentiels de la série oméga 6 et oméga 3. De nombreuses graines oléagineuses existent : notons que la simple addition de graines de tournesol et de lin suffit pour réaliser un apport équilibré en oméga 6 et oméga 3.

La protection de l’organisme nécessite aussi de disposer d’une large gamme de micronutriments protecteurs en provenance des fruits et légumes mais aussi d’une multitude de produits végétaux ou d’ingrédients naturels nouveaux, que nous n’avons pas nécessairement l’occasion de consommer. De ce point de vue, le pain est un aliment vecteur d’un intérêt remarquable  qui est encore bien sous-utilisé.

Il y a donc des progrès majeurs à réaliser dans la catégorie des pains qualifiée de « multicéréales » qu’il serait préférable de promouvoir sous un angle plus nutritionnel.

En conclusion

Beaucoup d’entre nous perçoivent sans doute la question du gluten comme un boulet, et un handicap, une difficulté nouvelle pour garder la confiance des consommateurs. Il nous revient de transformer ce problème en  un levier extraordinaire de renouvellement des produits en boutique…   Il devient un vecteur de communication aux effets synergiques  multiples… Il change incroyablement l’image de l’entreprise, c’est aussi cela la boulangerie artisanale de demain.

Autorité technique de l’équipe de France de boulangerie, présidée par Amandio PIMENTA
avec la collaboration  de Christian Rémésy.

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Liste de membres de l’équipe de France de boulangerie composée uniquement de M.O.F.

Jacques Annonier, Jean-Luc Bauhaire, Anis Bouabsa, Bernard Burban, Mickael Chesnouard, Eric Chevallereau, Sébastien Chevallier, Jean-Claude Choquet, Didier Chouet, Bruno Cormerais, Joël Defives, Carlos De Oliveira, Franck Deperiers, Richard Dorfer, Patrick Ferrand, Eric Ferraton, Bernard Ganachaud, Stéphane Georgeon, Philippe Hermenier, Sylvain Herviaux, Jacques Lionneton, Thomas Marie, Claude Mesnier, Thierry Meunier, Jean-Louis Mierger, Pierre Nury, Amandio Pimenta, Dominique Planchot, Henri Poch, Boris Portolan, François Pozzoli, Ludovic Richard, Christophe Simon, Nicolas Streiff, Yann Tabourel, Pascal Tepper, Jean-Luc Viennet.