Tour d’Horizon(s), un périple sur 3 continents

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Pour fêter cette nouvelle année, on s’offre un périple sur trois continents auprès de cinq pâtissiers de différentes structures, tous passionnés par leur métier, tous liés à leurs équipes par le même souci de qualité et de respect. De l’Est au grand Ouest, du Japon à la Californie en passant par la Suède, La France et la République Dominicaine, trois mêmes questions ont été posées : la meilleure vente en entremet sur 2022, les nouveautés du laboratoire et les tendances observées.

Par Marie Anne Page

Première étape à TOKYO, chez Frédéric Madelaine

1Créateur de « Le Pommier », pâtisserie-chocolaterie avec deux boutiques et un café chic à Tokyo, le chef aux multiples décorations pour sa valorisation de l’excellence française et les passerelles créées entre les deux cultures, est entré dans La Liste, prestigieux classement gastronomique international qui accueille des pâtissiers depuis 2022.

Tokyo

L’entremet phare

L’incontournable gâteau Le Pommier, une dacquoise noisette avec ganache au chocolat et noisette, mousse de pommes vertes avec une pomme sautée à l’intérieur. « C’est la spécialité maison, créée dès les débuts de la boutique en 1992. Je lui ai donné une forme hexagonale pour mes racines françaises et les pommes ma Normandie d’origine. »

Et le « Pour moi » : un sablé streusel, biscuit chocolat, crémeux framboise, gelée de framboise, bavarois pistache, le tout recouvert d’un glaçage pistache (pistaches venues de Sicile). Les Japonais adorent la pistache, la fraise, framboise, les myrtilles…Créé il y a dix ans pour un magazine japonais, qui lui avait consacré 4 pages le mois de l’anniversaire du chef en novembre. Quel nom étrange ! « Ils m’ont demandé un nom et j’ai dit « Pour moi« , c’est resté ».

Les nouveautés dans le laboratoire

« J’ai acheté une machine à faire des rouleaux de sablés, plutôt qu’ils soient faits à la main. Je crois que l’on va devoir faire plus confiance aux machines qu’au personnel, que nous avons du mal à trouver. Les mentalités ont changé ici, la jeune génération ne pense pas en long terme pour le travail, la vision est plus au quotidien avec de petits boulots, en pensant aux loisirs… »

Les tendances observées

« Il y a eu une évolution dans l’apprentissage des goûts « exotiques « , une curiosité pour sortir des sentiers battus. Ils vont tester, mais pas tous seuls, sous l’impulsion d’un conseil qui les aide à découvrir. »

En Suède et GOTEBORG, chez Sylvain Marron

2Installé depuis deux décennies en Suède, le pâtissier-chocolatier-confiseur ardéchois d’origine, multi médaillé dans différents grands concours tel l’International Chocolate Awards, continue son approche artisanale, un choix de vie heureusement assumé.

Göteborg, Sweden

L’entremet phare

Parmi les idées et les créations dont il foisonne, le chef revisite une spécialité suédoise « a-do-rée » par les locaux, le Semla : une pâte briochée garnie de pâte d’amande et chantilly, parfumé à la cardamome, consommé en période de Mardi gras. Gâteau que le chef décline sous le nom de «Week-end spécial », différent selon les saisons (et ses humeurs !) avec en base une pâte à chou, pâte briochée ou, pâte à croissant (soulignons qu’il a été sacré meilleur croissant de la ville en 2022!). Chou façon Bounty avec une pâte à choux garnie de crémeux coco, caramel au beurre salé, ganache au pur Equateur, chantilly coco, chou cappuccino et crème pâtissière au café, crème brûlée chocolat et chantilly au mascarpone…

Dans le laboratoire

L’arrivée d’une machine à pasteuriser, qui fait aussi des glaces. « J’ai eu une opportunité d’achat à 33 000 €. Cela me simplifie la vie : crème pâtissière, compotes, pâtes de fruits, caramel…Les glaces (dont les Suédois font partie des plus grands consommateurs au monde), me donnent de nouvelles opportunités en lieux de vente, comme dans le marché couvert. »

Les tendances remarquées

« Mon C.A. et le ticket moyen ont augmenté, la clientèle non en proportion. » La crise est aussi bien présente en Suède, mais le chef s’est construit une clientèle d’habitués, fidèles à son imagination débordante et le très sain rapport qualité prix, toujours avec de bons produits.

Avant le Nouveau Monde, mouillage à BREST avec Edouard Le Noc

3Avec la création de Tartines d’Autrefois, boulangerie-pâtisserie & snacking salé, qui s’est hissée parmi les plus belles références de la ville, Edouard Le Noc a pris avec sa femme Emilie les rênes de la Pâtisserie Lallemand (institution brestoise fondée en 1923), dont elle est héritière de la 4e génération.

Brest

En entremet phare, Le Royal

Dessert signature de la maison, il est proposé en version chocolat ou caramel, Le Royal comprend un biscuit aux amandes paré d’un croustillant de praliné feuilleté, une mousse au chocolat et un glaçage cacaoté. « C’est un dessert qui plaît, rassurant. » Les macarons font aussi partie des produits phares de la pâtisserie et ce, depuis sa création.

Dans le laboratoire

« Nous avons acheté une dresseuse pour nos macarons. Une démarche RSE que nous menons pour apporter plus d’aisance dans le travail. En exemple, les macarons : en faire quelques uns est une chose, beaucoup, cela donne des tendinites. »

La tendance remarquée

« Plus de repas se préparent à la maison, comme si les gens avaient besoin d’être rassurés. Ils recherchent la sécurité en allant vers les classiques. » Pour l’évolution de la gamme, nécessaire pour l’entreprise, le travail se fait par petites brides éphémères (en revoyant le format par exemple), pour veiller à garder un fil conducteur. 

PUNTA CANA en République Dominicaine, à l’hôtel Lopesan Costa Bávaro Resort, un 5* avec Spa & Casino

4Occasion de fêter le quatrième diamant (Diamond Award, prestigieuse récompense nord américaine), dont l’hôtel a été récemment couronné. Et deux professionnels à nos côtés ! Le chef pâtissier Jair Montane Ibarez et le chef Romain Valicon, en charge des cuisines thématiques, tous deux oeuvrant pour les 8 restaurants du site.

Punta Cana ©Redbubble
©Redbubble

Le dessert phare

Les fleurs de Frida Kahlo, imaginé pour le restaurant mexicain Charro. « Un gâteau à la carotte de style mexicain, avec de la crème au beurre. Il est présenté dans une sphère en chocolat noir, servi à la minute avec une sauce de chocolat chaude. Sa particularité est que la sphère fond quand on verse la sauce, se divise en quatre et le gâteau se découvre. Tout se fait devant le client. On le sert avec des fruits rouges

« Le gros succès ? C’est qu’il est fort bon déjà, et que c’est cela la base. Les clients adorent le service, ils font des vidéos qu’ils postent ensuite sur les réseaux sociaux, c’est du show et aujourd’hui, le show est vraiment essentiel, la magie des yeux ! »

Arrivés dans le laboratoire

De nouveaux moules en silicone de différentes formes, très sympathiques. De quoi imaginer et préparer bien d’autres gâteaux et associations.

Côté tendances

Le Lopesan Costa Bávaro accueille des clients venus d’Europe du nord, des Canadiens et des Américains, en famille pour la majorité. L’analyse de Jair : « Cela paraît drôle et paradoxal, mais on a observé que les adultes optent en général pour des saveurs, des textures et créations moins sucrées, plus naturelles. Ils recherchent des produits sains d’origine animale, comme le beurre : une belle tarte aux poires et myrtilles, un streusel aux amandes, un gâteau au chocolat à 70% de cacao avec une bonne crème pâtissière et des fruits frais. Nous avons tout cela en République Dominicaine ! »

Sous le soleil de SAN DIEGO, la dernière pause avec Christophe Moreau

5Il a travaillé aux côtés de Paul Bocuse, Pierre Hermé ou encore Daniel Boulud à New York. Pour rejoindre il y a 8 ans Bristol Farms, en tant que responsable boulangerie et pâtisserie. Cette prestigieuse enseigne aux maintes innovations et précurseur du bio en Californie, vient de fêter son 40e anniversaire.

San Diego

L’entremet phare

Le Texas cake au biscuit moelleux au chocolat, glaçage au chocolat et noix de pecan toastées. Tout y est bio, comme l’ensemble des produits vendus par l’enseigne. Autre grand succès le Banana cake avec un glaçage au caramel de fudge au sucre brun, inspiré d’un grand classique américain du Sud, le hummingbird cake, ou gâteau colibri. « Les gens veulent des valeurs sûres et surtout, se faire plaisir avec des produits de qualité. »

La nouveauté du laboratoire

une couleuse à grande vitesse-multistation, façon de se rendre le plus transparent possible en continuant d’appliquer une démarche RSE. « Il faut éviter les mouvements répétitifs, ce qui va rendre notre travail plus intéressant et permettre de se concentrer sur le coup de main, indispensable dans le déroulement de la recette. »

La tendance observée…

Un vrai changement des mentalités, la recherche de bons produits (respectant humains, faune et flore), et l’arrivée du vegan. « C’est devenu tendance, traité comme un art de vivre au même titre que le bioMais apporter des protéines n’est pas toujours facile. Pour moi, un produit végan doit avoir les mêmes qualités gustatives qu’un conventionnel et, ne pas être passé par le « cracking », une méthode très dangereuse. »

Entré en 2014 chez Bristol Farms, le chef boulanger-pâtissier a vu son poste évoluer avec celle de la holding qui regroupe différentes enseignes du sud au nord de la Californie. Mais, l’extraordinaire croissance est toujours resté liée aux valeurs d’origine: l’approvisionnement en bio et en local, le respect de l’environnement, entre bien d’autres actions régulièrement récompensées.

Christophe MOREAU
Christophe MOREAU

La recherche de substituts « sains » dans les lignes vegan…

La banane, la citrouille et le chocolat pour remplacer l’œuf dans les cakes. Trois produits qui apportent de la texture, mais c’est beaucoup plus difficile pour d’autres gâteaux de travailler sans œuf. Nombre d’essais et de tests se font depuis des mois avec une solution proche en remplacement: un mélange de fécule de pomme de terre, farine de tapioca et un peu de levure chimique. « L’important, c’est de donner du plaisir, que cela ait du goût sinon, mieux vaut ne pas en manger.»

Coco, tournesol et colza pour le beurre

Pour le remplacer le beurre, le chef utilise un plant base butter, qu’il fait venir des Philippines. Produit à base de trois ingrédients : noix de coco, ou plutôt de baby coconut (40%), huile de tournesol (20%), et huile de colza (40%). « Cela donne une texture très crémeuse, comme une glace à la vanille. Mais cela coûte plus cher que le beurre ! »

« Dans le domaine des produits vegan, nous en sommes aux balbutiements, il y a beaucoup de choses à découvrir. Mais attention à ne pas aller avec des choses incolores, inodores…Il nous faut retourner à nos bases, au respect du travail. Revoir nos modes de vie, revoir nos priorités. La bonne nouvelle, c’est que la génération Z est en train de nous botter les fesses et nous pousse à changer ! »

Les origines du cracking 

Le « cracking » ou craquage, dont parle Christophe Moreau est issu d’un terme utilisé en pétrochimie. Il s’agit de la thermolyse du produit brut pour en faire des dérivés, d’aller du plus lourd au plus léger. Pour cela (entre autres par la montée en températures extrêmes), on casse la molécule organique complexe en éléments plus petits.

Un processus qui « casse la matrice » et dénature

La fragmentation « casse » la matrice de l’aliment, dénature complètement ses propriétés, supprime ses nutriments et ses minéraux. Ce procédé, où l’on chauffe à une température extrêmement élevée pour fragmenter la matière première a été repris par l’agroalimentaire dans les années 70 : riz, blé, lait, œufs, maïs, pois chiche…crackés et transformés en poudres et en sirops. En exemple, le grain de blé qui devient farine blanche, son et germe, qui à leur tour peuvent être fractionnés pour devenir des protéines, des fibres, du glucose, différents types d’amidons….

Des composants peu coûteux utilisés ensuite par l’agroalimentaire dans l’élaboration d’aliments ultras transformés (AUT). Nous sommes au cœur de la mal bouffe avec les pizzas, chips, pains et gâteaux industriels, céréales de petit-déjeuner, poissons panés, soupes instantanées….

Un vegan peut en cacher un autre, très dangereux…

Sous prétexte de manger sain et de se passer de viande, gare aux additifs ! La lecture des étiquettes est importante dans les substituts végétaux, car en développant des produits substituts aux carnés, certains industriels ajoutent aux protéines de légumineuses extraites via le cracking, nombre d’additifs pour apporter de la consistance et des saveurs, de la couleur. Vous prendrez bien aussi un peu d’antiagglomérant, une pincée d’antioxydants ?

Voilà pourquoi Christophe Moreau alerte sur ces sombres méthodes, déjà par la disparition de la matrice des aliments… « Je n’utilise aucun produit dérivé du cracking. Malheureusement la plupart des produits vegan contiennent en remplacement de l’œuf, de la protéine de poix chiche qui est très mauvaise pour notre système digestif.»

Avant de quitter Christophe, retour sur un petit moment de plaisir avec l’une de ses ventes phares dont il parle plus haut : le Banana cake et son un glaçage au caramel de fudge au sucre brun…Inspiré du humminggbird cake , une recette familiale ancienne du sud des Etats-Unis.

Banana Cake
Banana Cake

Pour en savoir plus sur le procédé du cracking et ses dangers, les liens vers 3 articles bien étayés :