Petits Moulins de France : portraits croisés de Meuniers et de Boulangers

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Minoterie Giraudineau (Pont-James – Loire Atlantique) et Boulangerie Mahé (Le Bignon – Loire Atlantique).
Les Moulins de l’Andelle (Morville sur Andelle – Seine Maritime) et le Fournil de Crevon (Blainville – Seine Maritime).
Moulin Céard (Saint-André d’Embrun – Hautes Alpes) – Boulangerie-Pâtisserie Rivas et fils (Marseille – Bouches du Rhône).

 

Quand un meunier Petits Moulins de France et un boulanger de la région travaillent ensemble pour redonner du goût au pain, c’est le consommateur qui est gagnant.

 

Créé en 2006, le groupement Petits Moulins de France (PMF) rassemble 60 meuniers indépendants qui défendent les valeurs d’une meunerie de proximité où toute la filière est respectée du producteur de blé au consommateur de pain. PMF défend la baguette de tradition française à fermentation lente, fabriquée à partir d’une farine certifiée par le laboratoire indépendant Lempa.

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Minoterie Giraudineau (Pont-James – Loire Atlantique) et Boulangerie Mahé (Le Bignon – Loire Atlantique)

Production locale, culture raisonnée, circuits courts et préservation de l’environnement… En matière de consommation, la tendance est au retour aux sources et à la qualité. Convaincue de l’influence de l’alimentation sur la santé, la Minoterie Giraudineau, moulin familial indépendant qui date du XIVe siècle, milite pour une agriculture respectueuse de l’environnement et du bien-être : « Maîtres meuniers depuis 5 générations, nous produisons depuis toujours des farines de qualité à partir de blés locaux », se félicite François Giraudineau. « En 1973, mon grand-père a fait figure de précurseur en s’engageant dans la filière bio ». Un deuxième moulin, dédié aux productions conventionnelles, sera construit en 1992.

En reprenant les rênes de l’affaire familiale en 2014, ce membre des Petits Moulins de France met en place un process de qualité rigoureux afin d’optimiser ses farines : conventionnelles, bio, tradition française, seigle, blé noir, grand épeautre… François Giraudineau réalise les ¾ de son approvisionnement en céréales auprès des agriculteurs locaux, dans un rayon de 70 à 100 km maximum : « Je me fournis plus loin uniquement si les variétés de céréales ne sont pas disponibles sur le territoire ou si elles sont de meilleure qualité ailleurs ».

Un vrai partenariat avec les boulangers

Cette proximité, il la cultive aussi avec les boulangers, dont certains étaient déjà livrés par son grand-père et son père avant lui : « Notre rapport est basé sur une relation de confiance. Les boulangers sont friands d’innovation, de nouvelles techniques… Il existe chez eux une véritable envie d’accompagnement vers une amélioration constante. Ensemble, nous optimisons des farines, développons des recettes et des méthodes personnalisées ».

François Giraudineau a été le premier meunier de France à signer un contrat de tradition française Petits Moulins de France : « Les marques de farines présentes sur le département ne mettent pas assez la tradition française en avant. Pourtant, en artisanat, c’est une valeur sûre et porteuse qu’il ne faut pas lâcher. À trop vouloir simplifier le métier de boulanger, on a sacrifié la qualité du pain. Le client a plus de pouvoir qu’il ne le croit pour faire changer la donne en matière de pain de qualité : c’est à lui de décider et au boulanger de répondre à sa demande. Privilégier le bon pain, c’est une question d’éducation, un état d’esprit, un acte militant presque, mais ce sont surtout de belles histoires de personnes et de rencontres ».

La proximité, humaine et géographique

Sébastien Mahé, propriétaire de la boulangerie, 8 rue Joseph et Georges Cadou (Le Bignon 44), travaille avec François Giraudineau depuis cinq ans : « Notre relation dépasse le cadre professionnel, c’est une vraie relation humaine. C’est lui qui nous a aidés à trouver cette nouvelle affaire quand nous avons voulu nous installer ici ». Au fil du temps, les époux Mahé ont assisté à l’évolution de la minoterie, membre des Petits Moulins de France : « Nous les soutenons dans leur démarche en faveur d’un pain de tradition française ».

Le contact humain est une des pierres angulaires de leur coopération : « Les représentants des grands moulins changent régulièrement, il n’y a pas de suivi. En outre, ils ne sont pas forcément qualifiés pour répondre à certaines de nos problématiques. Alors, il faut fixer un rendez-vous avec un démonstrateur au laboratoire. Avec M. Giraudineau, je fais office de démonstrateur. Je lui dis si les farines ne répondent pas comme prévu, si elles sont plus difficiles à travailler qu’escompté. Il peut même me prêter du matériel, si besoin. Quand il vient livrer la farine, nous échangeons nos impressions, il m’apporte ses conseils. Une telle collaboration et une telle réactivité sont impossibles avec un représentant. Et comme son moulin est situé à moins de 20 km d’ici, je sais que je peux compter sur lui si j’ai besoin d’être dépanné un week-end ».

Le Bignon, à 10 km de Nantes, est une agglomération rurale aux habitudes bien ancrées. Ce qui ne décourage pas Delphine Mahé : « Nous aimons bien proposer de nouveaux types de pain à nos clients… notamment au moment des fêtes de fin d’année. M. Giraudineau crée pour nous des farines spéciales, en petite quantité. Ainsi, à partir de fournées « test », on peut savoir quel type de pain fonctionne le mieux auprès de la clientèle ».

 

Les Moulins de l’Andelle (Morville sur Andelle – Seine Maritime) et le Fournil de Crevon (Blainville – Seine Maritime) : ensemble, pour un pain local de qualité

Production locale, culture raisonnée, circuits courts et préservation de l’environnement… En matière de consommation, la tendance est au retour aux sources et à la qualité. Aux Moulins de l’Andelle, Arnaud Mouchard l’a compris depuis longtemps : « L’artisan boulanger n’est plus le seul à vendre du pain. Il doit donc être le garant de la qualité ».

Dans son moulin familial (qui existe depuis 1839), ce meunier de 5e génération, membre des Petits Moulins de France, produits des farines issues de cultures raisonnées et n’ajoute aucun pesticide de stockage sur ses céréales. Selon les saisons, il travaille avec une dizaine d’agriculteurs locaux : « Dans la région, la nouvelle génération d’agriculteurs revendique un retour à la qualité ; produire mieux plutôt que plus », se réjouit-il. Arnaud Mouchard connait bien les agriculteurs avec lesquels il travaille, leurs contraintes, les réglementations auxquels ils sont soumis… : « De cette façon, je comprends mieux leur démarche ».

Un patron polyvalent

Cette proximité, il l’a aussi avec les boulangers avec lesquels il travaille, dont certains depuis plus de 25 ans, qui étaient livrés par son grand-père avant lui : « Boulangers, agriculteurs et meuniers défendent les mêmes valeurs. Nous travaillons d’égal à égal ».

Aux Moulins de l’Andelle, c’est le patron qui gère en direct la relation commerciale avec les clients et la prospection. Si besoin, il n’hésite pas à remplacer au pied levé le chef meunier, le magasinier ou le chauffeur qui assure quotidiennement les livraisons : « Ma polyvalence est un vrai plus. Avec le boulanger, nous sommes dans une relation de confiance. S’il rencontre des difficultés techniques à travailler une farine, nous réfléchissions ensemble à des solutions, nous faisons des tests… Ces échanges me nourrissent et m’encouragent à progresser dans mon métier. Aujourd’hui les boulangers ont le savoir-faire pour travailler des farines plus simples. Ils peuvent faire de plus belles choses qu’il y a 15 ans avec des farines plus naturelles ».

Et ce n’est pas Sébastien Corroy, propriétaire du Fournil de Crevon (Blainville-Crevon), qui va le contredire : « Depuis 10 ans que nous travaillons ensemble, notre relation professionnelle a évolué en une vraie relation humaine basée sur la coopération. Avec lui, c’est le produit qui doit s’adapter au boulanger, et pas l’inverse, comme c’est le cas avec des farines standard. Si jamais je rencontre un souci, il adapte la farine en fonction de mes besoins. Je sais que je peux compter sur lui si j’ai besoin d’être dépanné un week-end. Cette réactivité et ce suivi ne sont possibles que parce qu’il s’agit d’un moulin familial, situé à moins de 10 km d’ici ».

Moins de beurre, plus de goût

L’an dernier, une pénurie de beurre a fait flamber les prix, qui ont pratiquement doublé. Sébastien Corroy est allé voir la ferme laitière située juste au-dessus de chez lui. Ensemble, ils ont conclu un accord gagnant/gagnant, un juste prix pour le fermier et un prix d’achat moindre pour le boulanger, de par l’absence d’intermédiaires. « Non seulement le beurre fermier n’est pas congelé, contrairement à la plupart des beurres industriels, mais il a plus de goût. Donc, j’en utilise moins dans ma pâte pour un résultat identique, mais plus savoureux », explique Sébastien Corroy qui a même pu obtenir de la ferme qu’elle lui fabrique un beurre plus sec, meilleur pour les viennoiseries.

Au Fournil de Crevon, cette synergie exemplaire entre le champ, le moulin et le fournil est signalée par un autocollant aux couleurs de la ferme, du moulin et des produits locaux. « Nous croyons en notre démarche vertueuse et les clients y sont sensibles ».

 

Moulin Céard (Saint-André d’Embrun – Hautes Alpes) – Boulangerie-Pâtisserie Rivas et fils (Marseille – Bouches du Rhône) : ensemble, pour un pain de qualité

Présent dans la vallée depuis au moins 1551, date des plus anciennes archives retrouvées à ce jour, la minoterie Céard est le dernier moulin des Hautes-Alpes.

Meunier de sixième génération, Guillaume Céard a intégré l’entreprise familiale en 2010 avec sa sœur Marie, et perpétue ses valeurs de tradition et de qualité : « Dédiés aux petits artisans, nous sommes membre des Petits Moulins de France depuis la création du groupement. Engagés dans la qualité, nous sommes signataires de leur charte Tradition Française, certifiée par les deux organismes les plus représentatifs de la profession : Institut National de la Boulangerie Pâtisserie (INBP) et Laboratoire National de la Boulangerie Pâtisserie (Lempa) ».

L’approvisionnement local reste le plus grand défi du moulin Céard : « Non seulement le département n’est pas très étendu, mais en plus, la Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur ne produits pas de blé tendre en grande quantité », remarque le jeune meunier qui, pour transformer ses 7.000 tonnes de blé annuelles, tient à se fournir uniquement auprès de producteurs français (agriculteurs et coopératives) travaillant en agriculture raisonnée. « Avec ce mode d’approvisionnement mélangeant terroirs et variétés de blés tendres, mes clients sont assurés d’avoir toujours une farine de qualité constante et n’ont pas à craindre une pénurie en cas de mauvaise récolte dans la région ».

La proximité, plus fort que tous les labels

Plus que tout, le moulin Céard cultive une très grande proximité avec les boulangers qui sont visités à la semaine ou à la quinzaine : « Les boulangers nous connaissent, beaucoup sont venus visités le moulin et savent comment nous travaillons ; ils sont en confiance car ils savent qui est derrière leur produit. Nous pouvons donc avoir des échanges honnêtes, des discussions sur les dernières tendances, les nouvelles techniques, l’animation des boutiques et du fournil… Nos artisans sont passionnés, ils passent des heures dans leur fournil et n’ont souvent pas le temps d’aller voir ce qui se fait ailleurs. Il y a chez eux une véritable envie d’accompagnement vers une amélioration constante. Et c’est grâce à cette proximité que meunier et boulanger œuvrent ensemble pour un pain de qualité », déclare Guillaume Céard.

Particularité notable, le moulin Céard est présent dans tout le quart sud-est de la France grâce à sa propre flotte de transport et deux plateformes de distribution (Calas 13 et Fréjus 83) : « Cette activité annexe, créée par mon père en 1981, est un prolongement naturel de cette notion de proximité à laquelle nous sommes attachés », explique G. Céard. « Les Hautes-Alpes sont géographiquement isolées. La maîtrise du transport nous permet de contrôler les conditions de transit (certification Qualimat), la régularité de l’approvisionnement et les livraisons chez nos artisans… même à l‘étranger pour certains clients fidèles qui souhaitent poursuivre notre collaboration hors de nos frontières ».

Une véritable coopération

Pour Olivier Rivas, de la boulangerie-pâtisserie Rivas père & fils, dans le 13e arrondissement de Marseille, travailler avec le moulin Céard va de soi : « Mon père, avant moi, travaillait déjà avec eux. Comme notre boulangerie, cette affaire familiale s’investit dans les produits de qualité, le goût des bonnes choses ».

La dimension familiale est importante pour ce boulanger de 3e génération. L’histoire commence en 1963, quand son grand-père rachète la boulangerie où il fabriquait des biscottes, pour la céder en 1972 à son fils, qui est reprise aujourd’hui par le petit-fils et son épouse !

 

Il aime pouvoir échanger régulièrement sur les nouvelles farines, les difficultés et avantages techniques de chacune… « J’apprécie la qualité de nos relations, que ce soit directement avec M. Céard ou l’un de ses commerciaux, qui ne sont pas boulangers de métier mais pourraient l’être, car ils ont une vraie connaissance technique de la profession qui fait la différence avec les représentants des autres meuneries ».

Avec Guillaume Céard, Olivier Rivas a travaillé à l’amélioration d’une recette de farine à base de semoule de blé dur, aujourd’hui proposée dans la gamme des 60 farines du moulin Céard. « Avec mon équipe de boulangers, nous aimons ce que nous faisons, nous nous battons en faveur des bons produits », s’enflamme l’artisan. « Aujourd’hui, le métier se perd. Pas question de brader la qualité de nos produits pour faire plus de marge avec des ingrédients moins chers. Face à la recrudescence des chaînes de boulangeries franchisées, nous privilégions l’artisanat. Pour nous, la tradition est une force et une chance, un excellent atout pour se différencier ».

Christelle Calvignac, l’épouse du boulanger explique : « Dans notre quartier, la clientèle n’a pas de gros moyens. Il n’empêche qu’elle est attachée à la qualité de nos produits et qu’elle aime se faire plaisir au moins le dimanche ! » Dans sa boutique de l’avenue-des-Poilus, ses produits traditionnels (tranches dorées, croquants…) sont appréciés des fidèles comme des saisonniers.