La boulangerie confrontée à la phobie du gluten Par Christian Rémésy

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La peur du gluten et la recherche d’un régime sans gluten sont devenues une préoccupation courante pour les Français, car nombre d’entre eux pensent que le gluten est à l’origine de leurs problèmes digestifs. Mais il est difficile de connaître la part des personnes réellement touchées, de celles qui cèdent à la phobie actuelle du gluten.  Il existe grosso modo trois troubles liés au gluten : la maladie cœliaque, une pathologie auto-immune qui peut provoquer de graves complications ; l’allergie au blé, et enfin l’hypersensibilité au gluten de type non cœliaque, un trouble léger et encore mal connu, mais qui pourrait toucher plus de monde.

Il me semble donc que la meilleure des réponses possibles face au danger de la phobie du gluten est de revenir aux fondamentaux du pain, par la réduction du pétrissage et une nouvelle maîtrise de la panification au levain et je vous ai montré dans un précédent article à quel point c’est devenu possible et facile.

La maladie cœliaque. De ces trois troubles, la maladie cœliaque est la plus grave. Il s’agit d’une intolérance complète au gluten qui provoque des douleurs abdominales, et il n’existe qu’un seul remède connu : un régime strict sans gluten. On estime qu’elle touche environ 1 % de la population mondiale, ce qui en ferait l’une des maladies auto-immunes les plus fréquentes. Elle est provoquée par une réaction du système immunitaire au contact de la gliadine, une protéine contenue dans le gluten. Une partie de cette protéine  peut résister à la digestion et  parvenir intacte jusqu’à la paroi de l’intestin grêle.  Là, des cellules du système immunitaire, les lymphocytes T, vont réagir à sa présence, mais en même temps détruire les villosités intestinales, ce qui provoque une mal absorption digestive grave.

L’allergie au blé est une réaction immunitaire due à divers allergènes du blé, mais sa prévalence est bien plus faible que pour d’autres aliments.

L’hypersensibilité au gluten est un trouble encore mal connu, définie par un ensemble de symptômes gastriques et digestifs qui disparaissent lorsque le sujet arrête d’ingérer du gluten. Sa prévalence est mal connue, mais elle toucherait déjà plus de 5% de la population. Pour le moment  aucun indicateur biologique  mesurable  n’a été découvert, ce qui explique le flou de la situation et   laisse supposer que d’autres composés du blé pourraient être responsables des symptômes ressentis.

L’industrie agroalimentaire, qui fait flèche de tout bois, développe déjà une gamme fort rentable de produits sans gluten, pourtant, il est probable qu’elle soit indirectement responsable de l’hypersensibilité au gluten, et qu’elle profite ainsi  de la situation. Elle abuse en effet  pour la confection de ces produits ultra transformés,  d’ingrédients très raffinés ou purifiés (farines, sucres, matières grasses, gluten, protéines de soja), ce qui aboutit à priver le tube digestif  des fibres et des micronutriments naturellement présents dans les aliments.  Si en plus, une consommation très élevée de produits ultra transformés s’accompagne en plus insuffisante de fruits et légumes, et dans ces conditions, prive l’intestin et son microbiote, des fibres alimentaires dont il a besoin. On sait qu’une nourriture trop raffinée, sans matrice, atrophie la paroi intestinale et augmente dangereusement sa perméabilité (donc la possibilité d’un contact avec du gluten). A long terme,  à force de nourriture industrielle, il est probable que la paroi intestinale de nos contemporains ne soit pas en très bon état, ce qui leur occasionne des souffrances digestives pouvant  être accentuées par des difficultés de digestion du gluten. Si dans un premier temps ces aliments sans gluten semblent  faire du bien à ces nouveaux consommateurs, par une sorte d’effet nocébo (bénéfice d’exclure), il  est à craindre que leur santé à long terme soit mise en danger par la consommation de produits sans gluten ultra transformés bourrés d’additifs.

La tentation pour la boulangerie serait de suivre la voie de l’industrie agroalimentaire, de confectionner des pains sans gluten avec une longue liste d’ingrédients artificiels. L’autre solution, que je préconise, est de panifier avec une technologie douce, en supprimant quasiment le pétrissage pour éviter la formation d’un réseau de gluten visco élastique, rendu plus difficile à digérer. Il est préférable ensuite évidemment  de panifier au levain et de laisser le pH descendre jusqu’à une valeur de 4 au moment d’enfourner (commencer la division à pH 4,4-4,3). Il est clair que l’acidification amorce la dégradation du gluten, jusqu’à le liquéfier si on la laisse poursuivre.

Christian Remesy