Au cours du XXe siècle , l’offre de pain blanc à la seule farine de blé pourrait devenir marginale !

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Malgré quelques accidents de parcours dus aux deux guerres mondiales, le XXe siècle aura été celui de la généralisation du pain blanc, jusqu’aux dérives du pétrissage intensifié, jusqu’au décret du pain de tradition française, jusqu’à l’hégémonie de la baguette et jusqu’à l’extrême réduction de la consommation de pain. On ne refait pas l’histoire, mais nous avons suffisamment de recul pour analyser cette évolution du pain et surtout pour comprendre que l’ère du pain blanc ne peut être durable, puisqu’il est possible de faire tellement mieux.

Revenons brièvement sur ce passé pas entièrement révolu, pour en dénoncer les mauvaises orientations prises. Très tôt, bien trop tôt, le pain blanc a été paré d’une dimension symbolique de pureté assez artificielle et a été un marqueur de richesse sociale. Ensuite, la mouture sur cylindres avec ses farines de Type 55- 65 a chassé le levain des fournils et contribué à dévaloriser le savoir-faire boulanger. Les facilités du pétrissage mécanique ont achevé de donner au pain un mauvais index glycémique et réduit fortement sa conservation. La quasi-totalité des pains français est devenue trop salée, même si on assiste actuellement à une lente décrue du sel dans le pain. A l’opposé de bien d’autres secteurs, la filière blé pain a entretenu un obscurantisme nutritionnel qui n’a pas aidé les consommateurs à faire des choix avisés. D’ailleurs la signification des types de farines utilisées en panification n’est toujours pas explicitée. Au final dans le pain blanc, le potentiel nutritionnel du blé est très peu valorisé (plus des deux tiers des fibres, minéraux et micronutriments sont perdus) et les voies d’amélioration de la densité nutritionnelle du pain par d’autres graines que le blé sont encore très peu explorées. Ces quelques exemples donnent un aperçu très bref de l’étendu des réformes à effectuer pour que le pain retrouve une vraie place dans l’alimentation humaine.

Heureusement la boulangerie ne part pas de zéro, la diversification des pains a commencé, la filière bio a valorisé les farines T80 et réhabilité l’utilisation du levain à l’instar des paysans boulangers, un renouveau de la panification porté par les Ambassadeurs du pain et l’approche Respectus Panis a vu le jour. Au final, la qualité de l’offre du pain s’est nettement améliorée ces vingt dernières années, au point que l’on voit poindre le risque d’une offre de pains à deux vitesses socio-économiques. En réalité, l’évolution de la boulangerie ne fait que commencer et il y a peu de chances que la nature des pains que les français consommeront vers la fin du XX ème siècle ressemble à l’offre actuelle. C’est ce que j’ai expliqué récemment dans mon livre « Sauvons le pain », publié aux éditions Thierry Souccar. J’y fais le constat qu’il faut revoir fortement la nature des ingrédients et des modes de panification pour renouveler presque entièrement l’offre actuelle. C’est ce que j’expliquerai à la prochaine assemblée générale des Ambassadeurs du pain qui se tiendra le 13 septembre aux Herbiers. L’ancien logiciel boulanger était de faire principalement du pain à la farine de blé et quelques pains spéciaux, avec d’autres farines ou par l’ajout de quelques graines. Point de fil directeur dans cette approche, point de projet d’amélioration systématique de la valeur nutritionnelle, point de lien avec une agrobiodiversité alimentaire, point de projet de remettre le pain au centre du repas, point de politique boulangère cohérente. La modernisation de la boulangerie nécessite pourtant de modifier en profondeur la nature des pains proposés à la vente.

Le premier changement d’envergure serait de réduire très fortement la panification à la seule farine de blé. C’est nécessaire puisque la farine de blé a une composition nutritionnelle peu équilibrée qui gagne à être améliorée par bien d’autres graines complémentaires, telles que les légumineuses ou diverses graines oléagineuses. C’est possible puisque les propriétés viscoélastiques des blés modernes compensent l’absence de gluten des autres graines, qui peuvent ainsi être utilisées facilement à hauteur de 20 pour cent dans le pain. C’est souhaitable pour lutter contre la monoculture du blé, et diversifier les rotations culturales nécessaires à l’agroécologie. Jusqu’à présent la boulangerie a peu exploré cette voie et j’ajoute qu’elle ne savait pas trop le faire. La panification en deux étapes, avec la préparation préalable d’un levain de graines développé avec un faible ensemencement, est, selon mes essais, la meilleure solution pour produire les pains de haute valeur nutritionnelle, qu’une majorité de consommateurs devrait plébisciter. Il est remarquable qu’une telle utilisation du levain permette d’harmoniser le goût du pain avec un large éventail de graines. Comme il existe au moins une cinquantaine de graines qui peuvent être panifiées grâce au blé, on imagine la très grande diversité de pains qui peuvent être produits. Finalement peu d’obstacles techniques s’opposent à l’amorce d’une révolution nutritionnelle du pain

Le seul problème est la volonté ferme de la filière blé pain de s’approprier la question nutritionnelle, d’en faire un levier pour remettre le pain au centre des repas. C’est un changement culturel profond qu’il faut opérer par des recommandations nutritionnelles nouvelles de santé publique, à l’instar du slogan des 5 fruits et légumes par jour. Ce pourrait être : pour votre santé, consommez au moins 3 tranches de pain de haute valeur nutritionnelle par jour. Nous aurions besoin d’une politique boulangère efficace qui prenne en charge la question nutritionnelle. Cela nécessiterait de repenser la formation des boulangers, de fournir aux boulangers des tableaux de densité nutritionnelle des principaux types de pain à mettre en valeur. Pour l’instant la filière blé pain n’a pas occupé ce terrain et a laissé libre cours au marketing de l’industrie agroalimentaire pour vendre ses céréales de petit déjeuner, ses biscuits et ses aliments ultra transformés. Malgré cette passivité, il est remarquable que la boulangerie ait déjà amorcé un changement significatif qui va dans le bon sens et vous pouvez compter sur votre serviteur pour l’aider à évoluer.

Christian RÉMÉSY