Vers une nouvelle offre de pain de longue conservation

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Le décret Pain de tradition française est perçu comme un tournant important pour la boulangerie française, qui a contribué à l’inscription de la baguette nationale au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. Lorsqu’on y regarde de près, le contenu de ce décret est assez pauvre et surtout, il n’a pas permis de soutenir la consommation de pain, en chute libre depuis sa parution en 1993.

Pour faire un vilain jeu de mot, tout se passe comme si l’essor de la baguette avait fait perdre la boule au pain. Comme dans d’autres circonstances, les analyses historiques sont souvent en retard d’une guerre par rapport aux évolutions de long cours. Il est probable qu’un tournant assez fondamental soit en train d’être pris à l’opposé des sentiers battus de la baguette et des modes de panification conventionnels. Ce tournant à peine amorcé est celui d’un pain de longue conservation et d’excellente valeur nutritionnelle, produit avec un faible ensemencement, selon le cahier des charges de la méthode Respectus Panis. C’est donc au retour d’un vrai pain-aliment auquel nous pourrions assister dans ce XXI ème siècle. Voici comment et pourquoi !

Tout d’abord la filière blé pain devrait disposer à l’avenir de farines de meilleure qualité souvent produites à l’échelle du territoire, ce qui redonnerait au pain ses racines naturelles. Même dans l’agriculture conventionnelle, une approche plus vertueuse devrait favoriser des cultures de blé produites avec moins de pesticides et d’engrais azotés. De nouvelles variétés adaptées au bio devraient compléter la gamme des variétés anciennes les plus intéressantes. Enfin tous ces progrès pourraient être accompagnés d’un glissement progressif du type 65 vers le type 80. La boulangerie reviendrait enfin aux farines natives sans addition de gluten et d’enzymes. Cette évolution du pain vers plus d’authenticité est éminemment souhaitable sur le plan écologique et nutritionnel.

La confection d’un pain qui se conserve 4 à 5 jours nécessite de produire au levain des pièces de plus de 0,75 kg. Le levain par son acidité est indispensable à la conservation du pain, de même que la diminution de la surface de la croûte. Mais ce ne sont pas les seules conditions de réussite. Une très grande réduction du pétrissage est indispensable aussi pour l’obtention de ce type de pain. Lorsqu’on pétrit à la main, chacun sait qu’après le frasage, un temps de repos permet ensuite de lisser la pâte très facilement. Il en est de même avec un pétrin mécanique ; le fait de pétrir en deux temps (avec un décalage d’au moins un quart d’heure et une température de pâte proche de 27 degrés) permet de limiter le pétrissage à deux fois 2 minutes à vitesse lente. Le fait de ménager la pâte permet de mieux préserver les grains d’amidon, c’est la clé pour réduire le rassissement du pain provoqué par la modification de structure de l’amidon, c’est également essentiel pour améliorer l’index glycémique du pain et en faire un aliment santé. La richesse du pain en fibres joue également important pour la rétention de l’eau et je recommande à cet égard l’utilisation de son fermenté au levain.

Une offre nouvelle de pain longue conservation permet un travail dans des horaires de jour, ces types de pain ne sont guère consommables à la sortie du four et prêts pour la vente le lendemain. Le temps dévolu à la production d’un kg de pain est fortement diminué en comparaison de celui de la baguette et il est probable aussi que l’énergie de cuisson soit peu affectée par une meilleure occupation de la surface de chauffe du four. Le secret du bon pain réside aussi dans le faible ensemencement et les longs pointages. Des ensemencements à 50 g de levain au kg de farine sont particulièrement faciles à conduire à 15 degrés et pratiques pour l’organisation du travail. Tous les feux sont au vert pour sortir des sentiers battus de la baguette. Cette offre de pain longue conservation appelle aussi un nouveau type de consommation. Elle sécurise la consommation de pain, elle prévient le manque de disponibilité en pain si fréquent dans les foyers, elle facilite le tranchage et la conservation du pain au congélateur avec des résultats remarquables sur la qualité de ces pains réchauffés grillés ; il revient aux boulangers d’en faire eux-mêmes la promotion Dans un premier temps, c’est un nouveau créneau qui s’offre à la boulangerie, à plus long terme l’enjeu est de redonner au pain toute sa juste place dans l’alimentation humaine.

Christian RÉMÉSY