Les bénéfices de la réduction du sel en panification, par Christian Rémésy

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Je viens vers vous, dans ce nouvel article, pour vous parler d’un sujet d’actualité, la future réglementation de la teneur en sel du pain.

Pourquoi les Pouvoirs publics veulent- ils intervenir sur ce sujet ? Parce  que la population française consomme trop de sel, plus de 8 g par jour, or il est certain que cette surconsommation joue un rôle déterminant dans les problèmes d’hypertension vasculaire, mais aussi dans le développement de l’ostéoporose. En fait, la grande majorité du sel ingéré par nos concitoyens provient du sel ajouté dans les aliments traditionnels (pain, charcuterie, fromage), ainsi que dans une myriade de produits transformés par l’industrie agroalimentaire. Malgré la diversité des sources alimentaires, le pain est une des principales sources de sel. Chez ceux qui continuent à en consommer 150 g  par jour, cela représente un apport 2 g de sel, soit environ le quart des apports journaliers totaux. Il faut noter aussi que chez vos meilleurs clients, grands amateurs et consommateurs de pain, cet aliment peut être responsable d’une surconsommation de sel considérable. Premier constat, il semble difficile de souhaiter et préconiser une consommation de pain élevée, sans diminuer significativement la teneur de sel.

Comme d’autres paramètres,  la teneur du sel dans le pain a beaucoup varié dans l’histoire.

Lorsque la panification était réalisée entièrement au levain, avant l’essor de la levure industrielle, 10 à 12 g de sel par kilo de farine suffisaient amplement à donner du goût au pain. Jusqu’aux années 1950, la boulangerie française utilisait le sel en quantités modérées (10 à 15 g de sel par kilo de farine selon les régions). Le développement du pétrissage intensifié a entraîné une augmentation considérable de son utilisation.

Vers les années 2000, la boulangerie ajoutait en moyenne 24 g de sel par kilo de farine. Cette dérive a conduit le Ministère de la Santé à réagir et à préconiser une baisse des apports de 25% environ, pour atteindre 18 g/kilo. Malheureusement la filière blé pain s’est opposée à une réglementation ; certes les excès les plus flagrants ont été corrigés, mais au final la baisse obtenue s’est limitée en moyenne à 20 g/kg de farine ; certains ayant continué de saler au-delà de 20 g et d’autres, moins nombreux, ayant adopté les 18g recommandés. Au bout d’une vingtaine d’années, l’objectif des 18 g est loin d’être atteint, c’est pourquoi il convient maintenant de passer par la voie réglementaire en fixant un seuil au kilo de farine à ne pas dépasser. La réglementation est préférable au volontariat, puisque la crainte principale des boulangers est d’être pénalisés dans leurs ventes, si les autres collègues ne changent pas leur salage.

La limitation à 18 g par kilo de farine va sûrement rentrer immédiatement en vigueur dès que la question du sel dans le pain sera abordée et sans doute votée, à l’Assemblée nationale. Le contrôle sera effectué sur la matière sèche du pain pour gommer le biais du degré d’hydratation. Je crois savoir que cette mesure est maintenant acceptée par la filière blé pain, qui souhaiterait par contre qu’une baisse plus importante fasse seulement l’objet d’une simple préconisation. Ne soyons pas naïfs, les recommandations sont très peu suivies dans notre tempérament français. Pour être efficace, il faudrait donc passer par la voie réglementaire afin de planifier une baisse  plus significative du sel, au-delà des 18 g devenus réglementaires. Il est bien connu qu’une baisse progressive du sel ne peut être détectée par les consommateurs, dès qu’elle est étalée sur plusieurs mois et plusieurs années. Une baisse vers 15 à 14 g de sel par kilo de farine pourrait donc être programmée en 3-4 ans par la voie réglementaire, sans provoquer le moindre problème, au contraire. C’est la position que je défends et j’espère qu’une baisse durable du sel sera adoptée pour revenir aux fondamentaux du pain.

Quels seraient les bénéfices d’une telle réduction du pain en panification ?

Vous savez peut-être que j’ai œuvré au développement de l’approche de Respectus Panis, portée par les Ambassadeurs du pain. Dans cette méthode, on veille à réduire au strict minimum le pétrissage. Pour cela, l’idéal est de réaliser le frasage sans addition de sel et de ménager une autolyse d’environ 30 minutes avant le pétrissage de 2 à 3minutes à vitesse lente. L’absence de sel et une température de pâte plutôt élevée facilitent l’amorce du réseau de gluten et l’efficacité du pétrissage ultérieur. La mise en œuvre de ce type de pétrissage très réduit pourrait aider grandement la filière à faire du meilleur pain. N’oublions pas que les boulangers ont eu recours au sur-salage parce qu’ils pratiquaient un sur-pétrissage rendant la pâte insipide. En fait c’est un cercle vicieux qui s’est développé dans l’utilisation du sel. En effet le sel en rendant la pâte plus ferme et élastique autorise un pétrissage plus intensif et dans un même temps, il masque la perte de saveur de la pâte à la suite de l’oxydation de certains de ses micronutriments. De plus, le sel étant un inhibiteur des fermentations, son utilisation excessive oblige d’augmenter fortement l’ensemencement en levure. Grâce à un ajout très élevé de levure, le boulanger peut, s’il le veut, réduire le temps de fermentation d’une pâte devenue insipide, aux seuls goûts de sel et de levure, et tout cela au final altère la qualité du pain. Il est inutile de rappeler qu’une utilisation élevée de sel est incompatible et surtout totalement inutile dans le cadre d’une panification au levain, naturellement conduite avec des farines bises dont le goût de la pâte est renforcé par des acides lactique-acétique.

En fait la nouvelle réglementation sur la baisse du sel devrait rendre un service considérable à la boulangerie, la conduisant à améliorer ses procédés de panification et la qualité finale du pain, avec des retombées sans doute très favorables pour la consommation de cet aliment. Souvent les quantités de sel utilisées sont mal maîtrisées lorsqu’il est incorporé avec l’eau de coulage. C’est pourquoi je fais la recommandation suivante qui a l’avantage également de faciliter le calcul mental pour le contrôle final du sel. Systématiquement, on ajoute par kg de farine, seulement 0,5 litre d’eau, salée à 2 fois la teneur requise dans la farine : par exemple 0,5 litre à 36 g de sel pour 18 g par kilo, ou 0,5 litre à 30 g pour obtenir 15 g au kilo. L’hydratation finale peut être ensuite ajustée sans interférer avec la teneur de sel requise. L’utilisation du sel de Guérande est bien sûr préférable au sel blanc, mais les différences en teneur en sodium sont très faibles.

Je vous invite à vous engager dans la voie de la réduction du sel et à soutenir, voire anticiper la réglementation à venir.

Christian Rémésy