La crise sanitaire que nous traversons a bouleversé les entreprises mais aussi les modes de consommation. Karine Forest, directrice générale de la minoterie Forest (71), nous fait part de sa vision de l’après, et de la nécessité de se tourner au plus vite vers le commerce équitable français avec Agri-Éthique.
Implantée près de Cluny, en Saône-et-Loire, depuis plusieurs générations, la Minoterie Forest est engagée depuis deux ans avec Agri-Éthique, premier label de commerce équitable français. C’est par conviction que ce moulin familial a fait le choix de produire de la farine éthique, qui assure une juste rémunération à tous les acteurs de la filière. La crise sanitaire que nous traversons a bouleversé les entreprises mais aussi les modes de consommation.
Quels ont été les changements majeurs que vous avez pu décrypter pendant le confinement dans les boulangeries qui utilisaient de la farine Agri-Éthique ?
Elles ont toutes vécu des changements très importants avec des impacts très lourds. Elles ont observé une baisse très nette de fréquentation des boulangeries par les consommateurs. Ceux-ci vont en effet moins souvent en boulangerie pour limiter le contact, ils préfèrent parfois même aller en grande surface pour acheter leur pain, pour éviter de se rendre dans plusieurs commerces. Donc la boulangerie, au sens large, a subi une baisse très importante de ses ventes, surtout en milieu urbain. C’est nettement moins vrai en milieu rural, où les boulangers sont moins impactés. Le pain reste ce qui se vend le plus dans les boulangeries. Pour les autres produits : viennoiseries, snacking, pâtisseries, c’est beaucoup plus compliqué.
Quelles ont été les répercussions sur votre activité ? Comment vous êtes-vous adapté ? Avez-vous proposé des approvisionnements différents ?
La répercussion sur notre activité est importante. Pour nous cela représente une baisse de 40% du chiffre d’affaires au mois d’avril, complètement liée à la baisse de fréquentation en boulangerie artisanale, soit 90% de nos clients. Avec le confinement, de nombreuses personnes ont dû trouver de quoi s’occuper et beaucoup se sont tournés vers la cuisine et la pâtisserie. Il y a eu une augmentation très importante de la demande sur le sachet de 1kg. Nous avons alors été appelés pour en fournir, or nous n’avons pas de quoi faire ces sachets dans notre moulin. Nous avons donc développé une offre qui n’existait pas, un conditionnement de farine de 5kg que l’on a mis à disposition de nos clients artisans. Ils pouvaient ainsi le proposer à la vente directe, dans leurs boulangeries. Certains ont aussi fabriqué leur paquet de 1kg en utilisant des sachets à pain et pourquoi pas des sachets Agri-Éthique.
Agri-Éthique est basé sur des valeurs humaines et de solidarité. Dans cet esprit, avez-vous mis en place des initiatives solidaires de votre côté ?
La solidarité, c’est l’argument qui m’a le plus séduit chez Agri-Éthique. Plutôt que de penser au prix final de la baguette, nous pensons au salaire de l’agriculteur, nous partons de la source, et j’ai trouvé cela très adapté ! C’est une valeur qui me semble extrêmement importante. Et dans cette crise, forcément, nous avons voulu mettre en pratique cette solidarité. Nous avions un stock de matériel, et notamment de blouses jetables, que nous avons pu donner au personnel médical à côté de chez nous. Nous avons également pu participer à des actions solidaires avec certains clients, en donnant de la marchandise pour qu’ils puissent confectionner des viennoiseries et des douceurs gourmandes destinées aux hôpitaux de proximité.
Vous avez adhéré au label de commerce équitable français Agri-Éthique il y a deux ans, en quoi est-ce plus que jamais une démarche importante pour vous ?
Ce qui nous a importé avec Agri-Éthique, c’est la valorisation à son juste niveau du travail de l’agriculteur et sa rémunération. J’ai eu l’occasion il y a quelques mois de discuter avec certains d’entre eux, et c’est très difficile ce qu’ils vivent. Il est de notre devoir de les aider. Ce que l’on traverse aujourd’hui doit nous permettre de se réunir entre céréaliers, collecteurs de grains, transformateurs, pour mettre à plat le sujet de l’agriculture et de l’agroécologie.
Quelle est votre vision de l’« après » ? Cette crise va-t-elle transformer durablement les mentalités de chacun, l’envie de consommer local, plus solidaire, plus éthique ?
Aujourd’hui, on réfléchit évidemment à l’impact que cette situation aura dans l’esprit du consommateur et sur les réponses qu’il va falloir que l’on apporte demain. Pendant cette crise, nous étions contents de pouvoir compter sur nos agriculteurs français pour obtenir de la farine issue de moulins français. Le label Agri-Éthique vient valoriser et prendre en considération le travail de l’agriculteur. Combien vaut sa production ? Combien doit-on le payer pour qu’il vive normalement ? Combien doit-on le payer pour qu’il soit respectueux de la terre et de l’environnement ? Ce sont des questions auxquelles nous allons devoir répondre. C’est un enjeu clé aujourd’hui, qui doit l’être encore plus demain à la sortie de cette crise. Il faut que l’on apprenne à être plus collectif dans la filière. Cette crise remet en question et bouleverse les choses. Le vrai sujet, c’est la production française. Nous avons la chance d’avoir un savoir-faire extraordinaire en France, un terroir fabuleux et des agriculteurs qui se remettent en question. Nous avons aussi un label, AgriÉthique, qui pose les bases et les valeurs clés. Il faut se réunir et communiquer au consommateur ce que sont vraiment les métiers des agriculteurs, des COOP, des moulins, des boulangers. C’est à nous de nous poser les bonnes questions pour faire passer les messages auprès des consommateurs. Il faut aller dans le sens du circuit court, de la juste rémunération de l’agriculteur, du respect de la terre et de l’environnement. Pour répondre à cela, il me semble qu’Agri-Éthique est, depuis sa création, une excellente solution ! C’est maintenant qu’il faut agir, et vite.
