Horizons… avec le chef Carlos Marsal à Téhéran

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A la tête des cuisines de l’ambassade de France en Iran depuis septembre 2017, il a dirigé celles de Tunisie, de Bulgarie, Géorgie et Algérie. Il a aussi vécu au Liban, en Tanzanie, en Russie, cuisiné pour le Premier Ministre du Qatar, passé une année en Antarctique comme cuisinier de l’Institut Polaire français… Sans parler de ses quinze années dans la Légion étrangère. Le parcours de Carlos Marsal s’inscrit dans les inclassables !

Par Marie Anne Page

Portrait de Carlos Marsal
Portrait de Carlos Marsal © Yvan Zedda

Pour ce « globe croqueur » comme l’appellent amicalement certains, le parfum est l’élément clé de son imaginaire: c’est lui qui va initier la construction d’une recette. « Le parfum du produit est le plus important pour moi. Ensuite arrivent le goût et la couleur, mais c’est avant tout le Parfum. Gratter un agrume par exemple, respirer son odeur, me donne des idées pour travailler des plats et des desserts. »

L’arrivée à Téhéran 

Sa première sensation olfactive ? L ‘odeur oppressante du carburant, la capitale faisant partie des 8 villes les plus polluées au monde. « Il faut partir sur les hauteurs et dans les parcs pour respirer normalement, ou dans les autres régions d’Iran. »
Capitale bouillonnante de 15 millions d’habitants, Téhéran vit au rythme de ses embouteillages, des klaxons et des émanations des pots d’échappements. Mais le métro (peu cher, propre et bien décoré), qui dessert l’immense métropole permet d’adoucir son grand défaut. Car Téhéran mérite le détour, abritant des parcs et des jardins enchanteurs, des palais des mille et une nuits, la formidable cohue de son grand bazar… En soulignant que le respect de l’étranger est une vertu cardinale dans la culture perse, avec un sens de l’hospitalité et une courtoisie légendaires.

Téhéran
Téhéran

La cuisine perse, l’une des plus anciennes au monde

On l’associe généralement aux cuisines du Moyen-Orient bien qu’elle soit très différente. Peu épicée déjà, elle fait partie de l’une des plus anciennes au monde. Ses saveurs délicates mêlent fines herbes, légumes, riz et graines aux viandes, volailles, poisson et se compose aussi de produits laitiers. Le safran, la grenade, l’eau de rose et les pistaches parfument et agrémentent plats, desserts et sorbets (dont celui au safran, l’un des préférés du chef !).

Les savoureuses (re)découvertes de Carlos Marsal

La datte fraîche Mazafati. Un trésor pour lui : « ronde, charnue, à la peau fine, avec une saveur délicate aux notes caramélisées. » Apprenant que Cédric Grolet (le grand chef pâtissier du Meurice), cherchait à travailler la datte, Carlos Marsal a pris la décision de lui offrir celles de Mazafati. « Le hic, c’est qu’elles sont produites dans la région de Bam, en ″zone rouge″ formellement déconseillée par le Ministère des affaires étrangères. Bien entendu j’y suis allé, car je voulais voir au plus près les méthodes de travail (elles sont récoltées manuellement sur l’arbre). Et lors de mon passage à Paris, je lui ai apporté ces dattes, et du safran. » Quant aux Pistaches, les « amandes de Perse » comme on les nommait jadis, l’Iran (dont elles sont originaires), produit les meilleures au monde.

Le sumac. Une épice de couleur grenat, légèrement acidulée, citronnée, qui laisse des notes naturelles salées et pétille dans la bouche. « Très intéressante. Je l’ai introduite dans certaines de mes recettes -dont au poisson avec lequel elle se marie très bien-, car c’est un excellent palliatif pour réduire le sel. En Tunisie j’utilisais le cumin , ici c’est le sumac. »

Le coulis de grenade. Il s’agit en fait d’une mélasse, d’usage courant dans la cuisine iranienne (accessible dans les magasins orientaux). Totalement naturelle, elle est élaborée à partir des seuls fruits, cuite et concentrée sans sucre ajouté ni épaississant. Le chef la travaille en préparations sucré-salé comme des tajines, une volaille à l’abricot… « J’en ajoute une cuillérée, cela donne une petite acidité, j’aime bien. »

Le safran : « Pour moi, le safran de Mashad est le saphir de la cuisine perse, l’excellence. En Tunisie, j’utilisais la harissa fraîche. Ici c’est le safran. » L’Iran, qui l’intègre dans nombre de mets salés et sucrés, en est le plus grand producteur mondial avec une qualité considérée comme la meilleure (à savoir que certains safrans à l’appellation européenne viennent en fait de Perse !).

Fleurs de safran
Fleurs de safran

L’eau de rose délicate et subtile, au savoir faire ancestral

Premier producteur au monde de ces eaux florales, l’Iran possède un savoir faire millénaire. Et c’est le savant persan Avicenne qui a mis au point le processus de distillation de l’huile essentielle de rose. « Quelle redécouverte pour moi ! Elle peut remplacer la fleur d’oranger (qui ne plaît pas forcément), elle est plus délicate, plus subtile et se marie bien à la vanille et d’autres parfums. Avec une saveur propre tout en étant assez neutre, l’eau de rose (ou le sirop), joue un rôle d’exhausteur de goût, comme un poivre sur une fraise. Elle renforce bien une salade de fruits… Pour les tajines aux fruits, un sirop de rose donne un heureux mariage avec de la cardamone, un bâton de cannelle et du citron. »

Fleurs roses
Fleurs de roses

Quand le chef parfume une chocolatine d’eau de rose…

Il gagne le Championnat du monde -amateur-, de la chocolatine ! C’était à Toulouse en mai dernier que se déroulait la première édition de ce concours, avec trois prix dédiés aux professionnels, aux apprentis et aux amateurs. Carlos Marsal a gagné la catégorie amateur -ce dont il est très fier-, avec sa « Chocolatine de Shiraz », composée d’une farine iranienne de type Poulard (rustique et pauvre en gluten), parfumée au safran, à l’eau de rose de Ghamsar et grenade.

A la table de l’ambassade, viennoiseries et pain français maison

Le mot d’ordre étant de travailler au maximum les produits locaux, le chef a du faire de nombreux tests pour son pain et ses viennoiseries avec les farines iraniennes. Les iraniens adorent le pain. Ils en achètent du frais qu’ils vont chercher tous les jours. Dans les variétés principales (toutes à pâte non levée), les pains préférés du chef sont le Nan-e-barbari épais et de forme ovale, et le Nan-e sangak, aussi de forme ovale.

« Mais, leurs farines sont très pauvres en gluten. Apparentées à des types 00, 65 et 85 avec trois grandes catégories issues d’un blé rustique type Poulard comme on avait chez nous dans l’ancien temps. Je veux remercier le MOF boulanger Sylvain Herviaux, qui m’a beaucoup, et souvent aidé par ses conseils ! Mon levain est naturel, je l’ai fabriqué à mon arrivée il y a deux ans. Et quand je ne suis pas à Téhéran, c’est le chef de la sécurité à l’ambassade de France qui le rafraîchit et le surveille. »

L’univers sucré du chef ? Décliner différentes saveurs, textures et températures autour d’un produit. « C’est comme une gamme de musique, à chaque bouchée, c’est différent, mais j’aime rester sur l’élément de base. »  Cependant, il n’est pas toujours aisé de reproduire notre gastronomie. Arrive « l’Art du plan B » que tous les expatriés connaissent ! Et les doses de stress démultipliées selon la zone du monde où l’on se trouve…  

L’Homme des Défis

Participer à l’Artic Circle Race dans le Groenland (l’une des courses à ski les plus difficiles au monde), gravir le sommet Damavant en Iran, partir à l’assaut du pic Lénine en Asie Centrale…En octobre prochain, ce sera l’Amérique du Sud et l’Equateur pour gravir le volcanCotopaxi.

Le chef se lance régulièrement des défis, pourquoi ?  Carlos aime la terre, les produits et les gens, le sort des enfants fragilisés le touchant particulièrement. A chaque expédition, il donne de la visibilité à des associations, parraine des enfants malades et leur rend hommage. Pour lui, tester sa propre force mentale est une façon d’être solidaire avec eux, qui combattent leur maladie ou leur handicap, au quotidien.

Sa madeleine de Proust : « Une bonne galette avec beaucoup de beurre ½ sel. Cela me ramène à ma grand-mère maternelle originaire de Ploumillau dans les Côtes d’Armor. Je suis à 50% Breton et 50% Catalan ! » Pour suivre les défis de Carlos Marsal : chefcarlos.org