Horizons… rendez vous à Madrid avec Juan Manuel D’Alessandro

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Le romantisme du quartier de Las Letras où il est installé, se savoure et se décline dans sa boutique de desserts-café « Motteau ». On dit souvent de lui –Argentin de naissance -, qu’il représente l’essence de la pâtisserie française à Madrid. Les raisons amènent à une belle histoire, qui fait remonter quelques générations et s’arrêter et dans la petite ville normande d’Yvetot…
Par Marie Anne Page

Portrait Juan Manuel D'Alessandro © Vanna Albertini
Juan Manuel D’Alessandro © Vanna Albertini

Que ressentirait le boulanger-pâtissier Henri Motteau en regardant son arrière-arrière-petit-fils préparer de multiples douceurs dans sa boutique-laboratoire ? Devant cette vitrine madrilène qui arbore son nom ? En écoutant les commentaires de la clientèle, enchantée par les saveurs, touchée par la gentillesse de l’accueil ? Une grande fierté certainement.
Et même pour un taiseux normand de l’émotion peut-être, en réalisant que par sa fille Renée, le nom et l’amour du métier ont été préservés à travers les générations. Car devenu veuf avec la Grande Guerre proche, Henri Motteau avait fait partir pour mieux la protéger, sa petite Renée en l’envoyant chez son frère installé en Argentine qui lui, exerçait en ferronnerie d’art. Depuis la France vers le Nouveau Monde, puis vers l’Espagne et la renaissance à Madrid : quels étranges chemins peut suivre une descendance!

Portrait Juan Manuel D'Alessandro © Vanna Albertini
Juan Manuel D’Alessandro © Vanna Albertini

Un métier d’amour, pourtant contrecarré à l’adolescence

Remontons dans les années 80. Nous sommes en Argentine et à Buenos Aires avec le jeune Juan Manuel D’Alessandro (arrière-arrière-petit fils d’Henri Motteau coté maternel), qui veut devenir boulanger-pâtissier. Travailler la pâte, il aime cela depuis tout petit ! Bien plus que de jouer avec les trains ou les petites voitures. Mais le Père voit cela d’un très mauvais œil. « Etudier pour ce métier ? Ce n’est pas sérieux, ni recommandable ! ». La vie passe avec  l’installation en Espagne, des métiers de service haut de gamme. La quarantaine en 2013 amène la question « où est-ce que je veux aller vraiment ? » Les lointaines racines reviennent en force et avec elles, l’amour infini pour la « pâte ». Le moment du grand saut est arrivé : Juan Manuel part à Paris pour se former à l’Ecole de Boulangerie et Pâtisserie. 

Madrid, Vieux Quartier de Las Letras, Taverne La Casa Alberto
Madrid, Vieux Quartier de Las Letras, Taverne La Casa Alberto

Au cœur de Madrid, un lieu de charme pétri d’histoire littéraire

Entre temps, coup de cœur pour une petite boutique dans le barrio de Las Letras (le nom de ce quartier au centre de Madrid). Le nom « Las Letras », vient des grands auteurs tels Lope de Vega ou Miguel de Cervantes qui y vécurent au Siècle d’Or. Certaines de leurs phrases sont mêmes gravées au sol  de l’une des rues piétonnes !
Cette ambiance un peu surannée, un peu bohème et romantique à souhait, se retrouve dans la boutique Motteau, décorée à l’ancienne et de façon exquise jusqu’à la porcelaine (française). « Cela ressemble à l’appartement de ma grand-mère à Buenos Aires, mais en bien plus petit ! Laboratoire inclus, la boutique fait  50 m², avec 4 tables et 12 places assises. » Laboratoire ouvert pour que la clientèle puisse voir le chef travailler et échanger avec lui.
Ouverte en juin 2015, la pâtisserie était une première dans ce quartier de Las Letras où -le paradoxe-, cohabitent depuis les temps jadis un nombre conséquent de tavernes et autres débits de boissons (en photo, la Casa Alberto ouverte en 1827). Juan Manuel y a lancé la tendance de l’univers sucré! D’autres lieux ont éclos depuis…

Ambiance Intérieure Pâtisserie Motteau
Pâtisserie Motteau

Créateur d’addictions oui, mais tout en délicatesse

Les Madrilènes et les espagnols seraient à la base, assez « becs sucrés » comme on dit. Mais les habitudes et les goûts changent. « Les gens savent que le sucre n’est pas bon pour la santé, qu’il ne faut pas trop en manger et pourtant, c’est une des choses qui nous donne la sensation de plaisir! Mais pour moi, trop en utiliser permet de ″cacher″ le goût quand on n’utilise pas de bons produits. »

Du tout fait maison, du vrai beurre, de bonnes matières premières, pas de glaçages ou colorants artificiels, une pâtisserie française classique et élégante, revisitée en petites touches : la démarche et la philosophie de Juan Manuel D’Alessandro, ainsi que la pratique de prix abordables, lui ont fait acquérir une bien jolie (et fidèle) clientèle.  « Les gens sont très ouverts, toujours prêts à découvrir de nouvelles saveurs, tant qu’on n’enlève pas la tarte au citron ! »
On passe prendre un café, un thé, accompagné d’un vrai croissant au beurre, d’une tarte au citron meringuée. Sans parler du cheese cake, de la tartelette au caramel de beurre salé et fèves tonka… On y fait une pause goûter (une tendance qui commence à s’instaurer à Madrid), on commande pour emporter au bureau ou à la maison.  

Tarte Caramel au Beurre Salé et Fèves Tonka © Vanna Albertini
Tarte Caramel au Beurre Salé et Fèves Tonka © Vanna Albertini

L’histoire de la tarte au citron meringuée, LE classique de Motteau

« Quand j’étais petit, chaque fois que mes parents invitaient des amis à dîner, ma mère préparait une tarte au citron qui pour moi était, à chaque fois que j’en mangeais, comme ouvrir les portes du paradis. Comme ce dessert était uniquement pour les amis, je m’endormais avec la pensée de me lever le plus tôt possible pour voir s’il en restait. Comme la fratrie était grande, le gagnant était celui qui se levait le plus tôt ! »
« Avec les années et l’expérience, j’ai modifié la recette pour une pâte sablée et une meringue suisse. La crème de citron elle, est restée exactement la même, celle que ma mère a apprise de sa mère qui l’a apprise…C’est cette tarte qui nous a fait connaître la pâtisserie Motteau et moi. »

Un autre must : le gâteau à la bière brune

Tout est venu d’un ami argentin (Eduardo Martinez Gil, maintenant installé à Majorque et propriétaire du restaurant Brut), dont le hobby était d’élaborer sa propre bière brune. Comme bon argentin, il y intégrait du dulce de leche (confiture de lait). « J’ai pensé qu’il fallait créer un gâteau avec de la bière brune dans ses ingrédients et, quelque chose de tendre, de mou, qui en rappelle la mousse. » La génoise au chocolat noir (parfumée à la bière brune), est fourrée et nappée d’une crème légère au fromage blanc. « Cela donne un joli contraste, avec une partie dense et une autre bien crémeuse. Créé dès l’ouverture, a immédiatement plu à la clientèle. C’est devenu l’un de mes classiques, il y a des personnes qui viennent spécialement pour lui. »
L’histoire est différente pour les pains aux raisins, une viennoiserie que le chef adore, mais qui ne se vend pas (à la différence des croissants et de leur franc succès). Quant aux cannelés qui font maintenant partie de la signature Motteau, que son amie bordelaise Sylvie Lafite lui avait fait découvrir (que du bonheur). Dire qu’au début, les gens ne les aimaient pas ! Avec le temps, les petits « cáneles » se sont gagné bon nombre de fans « je reçois même des compliments de personnes qui connaissent les ″vrais″ bordelais. Mais j’ai un peu modifié la recette, en ajoutant de la fleur d’oranger pour adoucir la saveur du rhum. »
Le chef a aussi revisité le gâteau basque (proposé uniquement en hiver),dont le fourrage de crème pâtissière est parfumé à la confiture d’orange ou, de framboise.

Tarte Chocolat et Bière © Juan David Fuentes
Tarte Chocolat et Bière © Juan David Fuentes

La plupart des matières premières viennent de la péninsule ibérique, sauf le chocolat (marque Reno en Italie, de chez Barry et Pupier pour la France) et, le beurre. « Un beurre FRANÇAIS, on ne peut en aucun cas modifier l’origine ! De la marque Candia pour mes croissants et de la laiterie Flechard pour les autres préparations. » N’oublions pas le beurre salé breton que le chef apprécie beaucoup (merci aux grand magasin madrilène ″El Corte Inglès″ qui le référence) , pour préparer son caramel au beurre salé « j’aime tellement ce caramel que je pourrais me l’injecter en intra veineuse ! »

La madeleine de Proust de Juan Manuel  

Ou plutôt « ses » madeleines, bien liées à ses racines : « Dès que j’arrive en France, manger du reblochon (mon fromage préféré), un Paris-Brest ou encore, un croissant au jambon ou, un sandwich baguette pain-beurre-jambon-fromage… C’est le bonheur, la Felicidad ! »

Motteau
Boutique de desserts-Café
Calle San Pedro, 9
Barrio de Las Letras
Madrid
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