Le granipain, une nouvelle étape dans l’histoire du pain ! Par Christian Rémésy

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Depuis la nuit des temps, la fermentation lactique et acétique des graines sert de préalable à leur digestion, et plus leur biodiversité est grande, mieux on couvre les besoins nutritionnels de l’organisme. Mais comment réussir à manger ces graines quand on n’a pas un système digestif adapté à ce type de nourriture ? En les écrasant avec des pierres en guise de meules et en les faisant tremper. La bouillie de graines, stockée dans des instruments rudimentaires, fermentait facilement. Il ne restait plus qu’à  faire cuire au feu de bois ces graines fermentées pour obtenir des sortes de galettes. Sans en avoir la moindre conscience, les hommes reproduisaient la physiologie digestive des oiseaux granivores, qui stockent les graines picorées dans leur jabot où elles sont humidifiées et fermentées par des bactéries lactiques, similaires à celles du levain.

Quelle histoire merveilleuse et étonnante que celle du pain. Pour se nourrir, nos ancêtres cherchaient à consommer un ensemble de graines laborieusement récoltées dans un environnement qu’ils avaient réussi à déboiser. Au cours des siècles, avec le développement de la culture du blé, la place des autres graines dans la panification est devenue bien marginale. De plus, seule l’amande farineuse du blé est conservée pour faire la farine blanche, or les enveloppes rejetées contiennent les trois quarts des fibres, minéraux et vitamines du grain. Du haut potentiel nutritionnel de plusieurs dizaines de graines fermentées au levain, à celui d’une farine de blé de type 65 fermentée à la levure, il y a une chute vertigineuse, qu’il est grand temps d’interrompre.

Des milliers d’années de panification et des essais de tous ordres ont abouti à l’offre actuelle de pain blanc, et à l’extrême réduction de sa consommation. Pour autant, sommes-nous totalement dans une impasse, à la fin d’une civilisation ? Non, la résilience du pain est possible, le pain garde un bel avenir alimentaire, nous n’avons quasiment aucune difficulté technique pour lui assurer un nouveau développement, à la seule condition de redonner une place suffisante aux graines fermentées et d’utiliser la farine de blé comme liant de ces graines, ce que nos ancêtres ne pouvaient pas faire. La bonne nouvelle est qu’il est maintenant possible de bénéficier des progrès de la panification moderne à base de blé et du potentiel nutritionnel des graines fermentées. Je suis en train de vous conter la belle histoire de ce nouveau pain que vous allez avoir la responsabilité de produire et ce nouveau pain, je vous propose de l’appeler le granipain, par référence à son origine végétale ancestrale. C’est bien connu, les choses n’existent que si on les nomme, et le néologisme granipain nous indique clairement que la finalité principale du pain est de nous faire consommer quotidiennement une grande biodiversité de graines, dont il nous serait très difficile de se nourrir sans le recours à cet aliment.

Il est clair que le blé est devenu hégémonique en panification, parce qu’il est doté d’un gluten particulièrement efficace pour faire lever la pâte et parce qu’il a un excellent rendement agronomique. Pourtant, un ensemble des légumineuses, et de petites graines d’origine botanique très diverse, ont des teneurs bien supérieures en protéines, vitamines, acides gras essentiels que celles du blé, sans parler de leur plus grande richesse en antioxydants ou en divers micronutriments. Le fait que la grande biodiversité des graines disponibles a été si peu utilisée jusqu’à présent est tout simplement venu d’un manque de savoir faire et d’une perception insuffisante de leur intérêt nutritionnel. D’ailleurs, historiquement lorsque le blé venait à manquer, sa farine était maladroitement enrichie par d’autres farines végétales, avec des résultats qui affectaient la qualité apparente du pain. D’ailleurs, le fameux pain noir des années de guerre contribua à donner au pain blanc son image symbolique d’abondance et de pureté. Durant cette époque, l’idée de valoriser diverses graines fermentées pour accroître la qualité du pain n’était vraiment pas d’actualité. L’envie de sortir des sentiers battus du blé ne date que de la fin du XXe siècle, avec une offre de pains dits multicéréales, mais on était encore bien loin du concept du granipain, basé sur l’incorporation de graines fermentées dans la panification.

Le "Granipain" par Christian REMESY
Le « Granipain » par Christian REMESY

Comment définir le futur granipain ?
Voici les bases solides sur lesquelles vous pourrez vous appuyer. Je pense que l’on doit réserver l’appellation granipain seulement aux pains contenant au moins 20% de graines (ne pas dépasser 25%). Quant au mélange de graines, il gagne à contenir au moins une vingtaines de graines différentes.

Quels types de graines faut-il utiliser ?
1 : Un ensemble de céréales : blés tendres de toutes couleurs, blé poulard,  blés vêtus (engrain, grand épeautre), seigle, orge mondé, perlée, nue, avoine décortiquée ou nue,  maïs anciens, millet commun ou millet des oiseaux, alpiste, éventuellement un peu de son, mais aussi des pseudo céréales tels que le sarrasin, le quinoa produit en France. L’apport de céréales permet au levain de bien fonctionner malgré la présence des autres graines de nature différente.
2 : Toute la diversité existante extraordinaire de légumineuses, en lentilles (blonde, corail, jaune, verte, noire), en pois jaunes ou verts, en pois chiches, haricots de toutes origines, lupin, soja… Leur apport est indispensable pour équilibrer la valeur biologique des protéines du pain.
3 : Un ensemble de graines oléagineuses ou aromatiques, telles que le tournesol, le lin, le colza, la cameline, la navette, l’oeillette, les graines de courge, le sésame, l’amarante, le chanvre, le pavot, le mélilot. Elles sont indispensables pour enrichir le pain en acides gras essentiels et en divers micronutriments.

Quelle proportion pondérale des différentes catégories de gaines ?
Aux environs de 40-45 % de céréales et pseudo céréales, 40- 45 % de graines de légumineuses, 10-20 % de graines oléagineuses ou aromatiques. Il est inutile d’utiliser des graines couramment consommées telles que le riz, ou d’origine lointaine telles que le fonio, le mil, le chia, le sorgho.

Comment les broyer ?
En mélange, avec un petit moulin à meules de pierre desserrées. La diversité des graines permet d’éviter que les graines oléagineuses n’encrassent les meules. Il est inutile de rechercher une farine fine et de la tamiser. Cette farine de graines gagne à être fermentée extemporanément.

Comment les fermenter ?
On fait une bouillie de graines broyées avec une hydratation de 200%. On fermente pendant 24 h aux environs de 20 degrés, en incorporant 10 g de levain par kg de graines broyées.

Panification : 600 g de bouillie fermentée (donc 200 g de graines sèches) pour 800 g de farine de Type 80, 350 à 400 g d’eau, 10 g de sel. Frasage avec une pâte à 27 degrés, 30 minutes de temps de repos, puis 1 à 2 minutes de pétrissage. Pointage, avec la bouillie servant de levain pendant environ 5 h. Façonnage et apprêt inchangés. Il est possible d’accélérer le pointage par une utilisation de levure, mais la bouillie de graines doit toujours être fermentée au préalable au levain. On conduit donc toujours la panification en deux étapes : l’étape de la fermentation des graines et celle de la panification finale avec la farine de blé. Dans tous les cas, il est remarquable d’observer que l’apport de graines fermentées modifient très peu le bon alvéolage du pain.

Questions

Peut-on augmenter la biodiversité des graines au-delà d’une vingtaine ?

Oui sans problème, la richesse aromatique du pain s’en trouve améliorée, mais il faut veiller aussi au prix de revient. Il est vraiment inutile de mettre plus de 10 g de sel par kg, le pain aux graines étant naturellement goûteux.

Comment se procurer les graines ?

Auprès de votre meunier, dans des centrales d’achat pour boulangerie, pour magasins bio, pour graines d’oiseaux, dans des coopératives agricoles, auprès d’agriculteurs. La démarche portée par le granipain est extrêmement positive pour l’avenir du pain, la santé publique, le maintien de la biodiversité en agriculture. Elle est à l’opposé des procédés de cracking alimentaire, à la base de tant de produits ultra transformés, néfastes pour la santé et responsables de la pandémie d’obésité. Elle ouvre une nouvelle ère alimentaire pour la production d’autres produits à base de blé (pâtes, biscuits)  enrichis en graines fermentées. Pour relancer la consommation de pain, il est important de bien communiquer sur le granipain, afin que les consommateurs l’identifient comme un produit entièrement nouveau. Le granipain constituera, selon moi, une étape clé dans l’histoire du pain, au même titre que le pain de tradition française et je sais qu’il faudra du temps pour que les boulangers se l’approprient, mais on arrête pas les changements qui s’imposent.

Je tiens à remercier Alain Bonjean pour son expertise en matière de biodiversité de graines et Myriam Poussou pour  être la première à avoir accepté de produire et commercialiser avec succès du granipain. Merci de vos retours d’expérience !

Christian Remesy

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