Diminuer de moitié l’ajout de sel et améliorer la qualité du pain ! Par Christian Rémésy

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Chers amis boulangers, je vais vous raconter la longue et surprenante histoire du sel dans laquelle vous êtes directement impliqués et dont la majorité d’entre vous ignorait l’origine et les conséquences sur la santé humaine.

Les aliments consommés par les mammifères terrestres et par les primates en particulier n’ont jamais contenu beaucoup de sel depuis que ces animaux sont apparus sur la surface du globe (65 millions d’années pour les mammifères et une dizaine de millions d’années pour les primates). Les végétaux ont en effet une très faible teneur en sel et la consommation même en grande quantité de fruits, de racines, de feuilles ou de graines n’apporte que très peu de sel à l’organisme. Pour les omnivores et les carnivores vivant à l’état naturel, la consommation occasionnelle ou régulière de viandes augmente l’apport de sel mais dans des proportions très modestes. Il est à noter aussi que les laits maternels de toutes origines contiennent très peu de sel : o,5 g par litre dans le lait de femme.

Durant des millions d’années, les espèces ont donc dû s’adapter à des régimes pauvres en sel, en développant des mécanismes de conservation du sel, qui doit rester en concentration constante et élevée dans le sang et le liquide extracellulaire, alors que le potassium est concentré dans les cellules, le maintien de ce gradient entre sodium et potassium étant absolument vital. C’est seulement au cours du développement de l’agriculture et de l’élevage que l’ajout de sel est devenu une pratique courante dans l’alimentation humaine, en particulier pour la conservation des aliments. Mais cette évolution ne date que de dix mille ans, et notre patrimoine génétique est demeuré adapté à un apport très faible en sel et non pas à une alimentation très riche en sel comme c’est le cas aujourd’hui.

Cette observation n’est pas anecdotique, puisque l’inadaptation de nos gènes à un environnement pléthorique en sel est à l’origine de nombreuses pathologies. En moyenne la consommation de sel est de 8,5g / jour alors que 2 à 3g suffisent. L’excès chronique de sel alimentaire qui concerne 80% de la population dans les pays industrialisés a donc de multiples effets négatifs sur la santé. L’effet majeur est une augmentation du risque cardiovasculaire via une élévation de la tension artérielle et également via un effet plus direct sur le cœur et les vaisseaux. Mais il y a d’autres effets indésirables, dont l’hypercalciurie qui augmente le risque de déminéralisation osseuse. En fait les impacts négatifs sur la santé humaine et les coûts financiers des excès de sel sont considérables, d’autant que les médicaments destinés à baisser la tension artérielle sont parmi les plus prescrits.

La nécessité de baisser la consommation de sel est un consensus scientifique, mais le sel ajouté par les consommateurs lors de la préparation des aliments ou à table ne représente qu’environ 20 % des apports journaliers. Certains aliments contribuent plus que d’autres à l’apport de sel. Ainsi le pain, la charcuterie, le fromage et leurs produits dérivés (sandwich, quiche, pizza), les soupes industrielles, les aliments ultra transformés, les plats cuisinés fournissent plus des deux tiers des apports de sel. La surconsommation de sel est un phénomène largement inconscient et la responsabilité du secteur agroalimentaire est évidente et vous savez que la boulangerie n’est pas en reste dans cette dérive, puisque 150g de pain suffisent à apporter en moyenne 2 g de sel. Le sel n’est pas seulement un exhausteur de goût qui atténue l’amertume, tout en accentuant le sucré et la saveur des aliments, il est aussi un leurre qui masque l’absence de goût d’un aliment devenu totalement insipide. C’est malheureusement cette fonction qu’il exerce dans la majorité des pains blancs.

Que s’est il passé ? 

Durant des siècles, au temps des meules de pierre, les farines bises étaient panifiées au levain après un pétrissage manuel. Il n’y avait nul besoin d’ajouter beaucoup de sel pour donner du goût au pain, d’ailleurs le sel était cher et sévèrement taxé, à l’époque de la gabelle. Il n’est pas étonnant que l’ajout de sel dépasse rarement dans ces temps anciens les 10g au kilo de farine. D’ailleurs, heureusement que le pain était moins salé vu qu’on en consommait plus de 500g par jour. Comme vous le savez, c’est en moyenne 20g de sel au kg de farine qui est ajouté actuellement, malgré la recommandation du ministère de la santé au secteur de la boulangerie de n’utiliser que 18g par kilo. Les pouvoirs publics qui cherchent à limiter les dépenses de santé publique ont fait preuve par deux fois d’un laxisme et d’une inefficacité coupables. En 2001, en n’imposant pas par décret une limitation de sel à 18g au kilo de farine et en 2018 en abandonnant un projet de loi visant à faire baisser progressivement l’ajout de sel dans la panification. En voulant ménager les boulangers, ils ont rendu un bien mauvais service au pain et à la profession elle-même.

Pourquoi un tel abus du sel dans la boulangerie actuelle ? Parce qu’une farine blanche devient très insipide après le pétrissage qui détruit ses rares pigments et arômes. Un cercle vicieux est engagé ; en excès, le sel inhibe les fermentations et il faut donc utiliser davantage de levure et au final, cela réduit le goût du pain à celui de la levure et du sel. Et c’est ainsi qu’est produite la majorité de nos baguettes, même celles dites de tradition. Tant pis pour la santé du consommateur, tant pis si le pain est très appauvri sur le plan nutritionnel, tant pis si le pain perd de son authenticité.

Chers boulangers, soyez plus exigeants, si vous faites les meilleurs choix possibles de panification, vous pourrez diviser par deux la teneur en sel, autour de 10 g par kg de farine.

Comment ?

En abandonnant les T65 au profit d’une T80 naturellement plus goûteuse grâce à la présence de particules de son, – en supprimant presque entièrement le pétrissage comme je vous l’ai maintes fois expliqué, grâce à une simple autolyse ou un temps de latence suffisamment long entre le frasage et le pétrissage, en réduisant de plus de 10 fois l’ensemencement, et en pratiquant un très long pointage à une température proche de 18 degrés, en vous convertissant à la panification au levain.

C’est encore plus facile de réduire le sel si vous sortez des sentiers battus du pain blanc purement à la farine de blé, si votre pain contient une grande diversité de graines broyées et au préalable fermentées au levain, si vous faites du pain complet ou semi complet. Dans ce cas, ne faites surtout pas l’erreur d’ajuster l’hydratation avec de l’eau salée, vous aboutiriez à un pain plus salé que le pain blanc alors qu’il exige moins de sel que ce dernier. Finalement pour savoir si vous avez gagné la bataille du bon pain, faites donc un pain qui ait du goût avec 2 fois moins de sel. Sachez également que seule la consommation d’un pain peu salé peut être recommandée en quantité élevée. Au final, une faible teneur en sel et une longue conservation seront les deux critères les plus objectifs des pains de demain. Cela donne le proverbe suivant : Dis moi combien de sel tu mets dans le pain, combien de temps il se conserve et je te dirai le boulanger que tu es ! A vous de vous forger une identité !

Christian Rémésy

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